Selon les expected goals, Malherbe aurait dû l'emporter
La data dans le football permet de lire le football différemment. On peut ainsi ne pas se contenter seulement du score final pour comprendre la mécanique et le contenu d’une rencontre. Une des data les plus connues désormais est l’utilisation des expected goals (xG) qui mettent l’accent sur la prévisibilité des buts marqués en se basant sur la position du tir et son contexte (type de passes, événements précédents la frappe…). On se base ainsi moins sur la simple notion de chance ou malchance. Les modèles de calcul des xG sont évidemment perfectibles. Les données sur la vitesse du ballon transmis ou sur le nombre d’adversaires présents entre le tireur et les cages sont par exemple le plus souvent absentes. L’interprétation des chiffres est donc à relativiser.
Pour illustrer l’utilisation des xG et au regard de l’historique des tirs du producteur de données (des dizaines de milliers), sur la première tentative du match signée Alexandre Mendy (voir capture d'écran ci-dessous), après une ouverture de Jonathan Rivierez, la probabilité d’inscrire un but sur ce type de situation est de 31% soit 0,31 xG. Au coup de sifflet final, alors que le tableau d'affichage est de 2-2, le total des expected goals s’élève à 1,09 xG pour le SMC et 0,59 xG pour le HAC. Autrement dit, les deux équipes ont sur-performé (et les deux gardiens ont sous-performé), puisqu’elles ont marqué plus de buts qu’attendus.
En utilisant la méthode algorithmique de Monte Carlo ; c’est-à-dire qu’en simulant 10 000 fois la confrontation avec les expected goals issus des sept tirs caennais et des six havrais, les probabilités de l’issue de ce « derby » sont les suivantes (graphique en haut à gauche, ci-dessous) :
> dans 4 998 cas, le Stade Malherbe l'emporte
> dans 1 775, le HAC s'impose
> dans 3 227, les deux formations se séparent par un match nul
Sur la première tentative du match signé Alexandre Mendy (capture d'écran en haut à droite), dans ce type de situation (un tir suite à une passe en profondeur avec rebond à 18 mètres des cages), la probabilité de marquer est de 0,31xG.
Une utilisation différente de Caleb Zady Sery
Caleb Zady Sery reste un joueur énigmatique. Ses performances sont volatiles : il souffle le chaud et le froid depuis son arrivée en Normandie. Depuis le coup d'envoi du championnat, Stéphane Moulin - qui doit composer, rappelons-le, avec une kyrielle d'absents, notamment en attaque (Yoann Court, Kélian Nsona, Benjamin Jeannot...) - lui a confié les clés de l'animation offensive. Au regard des prestations de l'Ivoirien, on peut se demander si ce rôle est taillé pour lui ? La saison passée, au SCO, le technicien n’avait pas hésité à troquer son habituel 4-1-4-1 pour un 4-2-3-1 afin de bonifier Angelo Fulgini. Désormais à la tête des « Rouge et Bleu », il poursuit sa réflexion avec CZS à la mène ; l'ex-Ajaccien étant chargé d’impulser la créativité et le déséquilibre haut sur le terrain en s’appuyant notamment sur sa qualité de puncheur. Pourtant, samedi soir, c’est dans un registre différent que l’on a vu s'illustrer Caleb Zady Sery. Lorsque le SMC avait le ballon, on l’a souvent vu dézoner et venir se glisser entre les deux défenseurs centraux, dans une position assez basse.
Vu le nombre de fois où cela s'est produit, difficile de croire que cela soit le fruit du hasard. On peut supposer que c'était une consigne. On se souvient que lors de la réception de Nancy (J5. 1-0, le 21 août), le n°10 du Stade Malherbe avait été régulièrement touché entre les lignes. Pour le derby normand, c’est un autre choix qui a été fait. Afin de sécuriser la conservation de balle et la progression du jeu, l'Ivoirien, sur attaques placées, est descendu bas sur le terrain prendre la place des relayeurs Jessy Deminguet et Johann Lepenant. Ces deux derniers « switchant » avec leur coéquipier pour se positionner un cran plus haut et maintenir des angles de passes.
Selon cette cartographie (en haut à gauche), près de la moitié des actions de Caleb Zady Sery se sont déroulées dans son camp.
Exemple avec cette situation à la 34'. Sur la capture d’écran n°1 (en haut à gauche), alors qu’une supériorité numérique est possible dans le couloir droit grâce à la présence combinée de Mehdi Chahiri et Steve Shamal, le « maître à jouer » caennais n’identifie pas la situation qualitative. Alors qu'il aurait pu toucher ses deux ailiers indirectement avec le soutien d'Aloys Fouda (capture d'écran n°2, en bas à droite), Caleb Zady Sery temporise avant de revenir vers l'intérieur malgré l'incitation de la main de Mehdi Chahiri. Quelques secondes plus tard, CZS est toujours positionné derrière les deux relayeurs, à proximités des arrières centraux (capture d'écran n°3, en bas à gauche). Cette action n’aboutira pas hélas comme beaucoup de ces mécanismes de conservation - progression à cause, entre autres, d'un manque de clairvoyance du n°10 des « Rouge et Bleu ». Caleb Zady Sery ne semble pas avoir cette capacité à être créatif par la passe.
On rappelle qu'il n’a pas été formé en Europe, et sa culture tactique paraît trop légère pour espérer obtenir un rendement supérieur. L'Ivoirien s’est révélé sur des surfaces propices aux dribbles notamment au Zébié de Yopougon (compétition de sixte sur terrain de terre). Il est très éloigné des standards d’un n°10 « classique » même si ceux-ci tendent à disparaître dans le football moderne. Pourtant, si l'on se fie à ses statistiques, sa prestation est loin d'être mauvaise : 50/64 actions réussies, 91% passes réussies (41/45), 9 pertes de balles seulement, 5/6 duels offensifs gagnés en donnant le tournis notamment à Victor Lekhal grâce à ses appuis.
On peut juste se demander si ses qualités de dynamiteur ballon aux pieds n'auraient pas été plus utiles à son équipe plus haut sur le terrain, à l'image de l'action aboutissant à l'égalisation d'Alexandre Mendy ? Surtout que les milieux de terrain malherbistes, dans leur globalité, pas uniquement Caleb Zady Sery, insufflent un mono-rythme. Ils ne peuvent espérer fixer - renverser - déséquilibrer sans parvenir à changer de rythme. Cela se traduit sur les attaques placées mais aussi sur les phases de transitions offensives où la comparaison avec les Havrais s’est fait sentir à l'image de Victor Lekhal, excellent quand il s’agit de changer de tempo et de trouver des passes vers l’avant. Au Havre, Paul Le Guen n’utilise pas de milieu offensif pour assurer de bonnes sorties de balles et chercher le déséquilibre. Les défenseurs centraux sont responsabilisés, n’hésitant pas à tenter des passes cassantes pour trouver la ligne d’attaque. Avec du déchet certes, mais aussi parfois de la réussite. Encore faut-il avoir des arrières en capacité de le faire.
Un manque de synchronisation sur les corners de Quentin Cornette
Avant le coup d'envoi de cette rencontre, sur les 11 buts marqués par le HAC, 45% l’avaient été à la suite de coups de pied arrêtés : deux sur corners, deux autres sur coups francs directs et un sur penalty. Le pied droit de Quentin Cornette n’est pas étranger à cette folle réussite. Durant ce « derby », cinq coups de pied de coin ont été obtenus par les « Ciel et Marine » ; quatre ont été bottés par l’ancien amiénois dont trois de manière sortante (puisque situés à droite des cages gardées par Rémy Riou). Analyse de ces trois situations.
Le premier corner sortant du HAC tiré par Quentin Cornette à la 21'.
Sur les corners défensifs, les Caennais pratiquent un marquage mixte ; les trois joueurs de champ les plus proches du gardien Rémy Riou sont déchargés d’un marquage individuel (capture d'écran n°1, en haut). Comme il s’agit d’un corner sortant, il n’y a pas de défenseur « Rouge et Bleu » collé au poteau droit. Bien qu'il en soit détaché, Alexandre Mendy est chargé de protéger le premier poteau. Six autres Caennais se trouvent au marquage individuel face à sept homologues havrais sur cette situation. Du côté du SMC, seul Caleb Zady Sery n'est pas occupé par ce corner défensif ; il est placé plus haut sur le terrain alors que deux adversaires sont restés défendre. On peut découper le positionnement des « Ciel et Marine » en deux : trois sont présents dans les 16,50 mètres, quatre sont répartis sur une ligne imaginaire et parallèle à celle de la surface de réparation, à une vingtaine de mètres des cages caennaises, Amir Richardson et Jean-Pascal Fontaine se trouvent aux extrémités de l’arc de cercle.
Quatre Havrais se mettent en mouvement dont Jamal Thiaré et Pierre Gibaud. La course de ce dernier est intéressante car elle démarre en dehors de la surface. Conséquence, il arrive lancé à toute vitesse pour espérer propulser le « cuir » au fond des filets. C’est sa course et son entrée dans les 16,50 mètres qui enclenchent la prise d’élan de Quentin Cornette et non l'inverse. Souvent le manque de synchronisation entre le passeur et le tireur est un facteur d’échec sur les corners. En procédant de cette manière, les hommes de Paul Le Guen contournent ce problème. En positionnant trois joueurs aux abords de la surface adverse (sur cette fameuse la ligne imaginaire située à 20 mètres du but), le HAC se prémunit également d’une transition défensive. Régulièrement, des équipes se déséquilibrent en voulant forcer leur destin sur coups de pied de coin.
Trop de contre-attaques (et de buts) proviennent à l'origine de corners offensifs à l'autre bout du terrain. A noter que les joueurs impliqués dans l’attaque du but sont les deux profils les plus offensifs (Jamal Thiaré et Khalid Boutaïb) et les deux arrières centraux (Fernand Mayembo et Pierre Gibaud). Amir Richardson, qui culmine pourtant à 1,95 m, ne vient pas utiliser sa taille alors que Mehdi Chahiri (1,80 m), préposé à son marquage, lui tourne le dos… Avec sa vitesse, Pierre Gibaud a réussi à prendre un peu de distance avec son vis-à-vis, Jessy Deminguet, afin de couper au premier poteau. Jamal Thiaré est en deuxième position, Fernand Mayembo en troisième et Khalid Boutaïb en quatrième (capture d'écran n°3, en bas à droite). Ils arrivent tous les quatre lancés, presque dans un timing identique sur une même ligne à distance quasi égale tandis que le ballon s’approche. Celui-ci est finalement dégagé par Ali Abdi qui se trouvait au marquage de Jamal Thiaré.
Le deuxième corner sortant du HAC tiré par Quentin Cornette à la 28'.
Sur le deuxième corner sortant, tiré à la 28', qui est quasi une copie conforme du précédent, on aperçoit une correction avec les trois joueurs présents dans la surface qui ont reculé pour démarrer leur prise d’élan afin d’être mieux synchronisés avec l'exécution de Quentin Cornette. Ce dernier enclenche toujours sa course par rapport à celle de Pierre Gibaud qui part, une nouvelle fois, de l’extérieur des 16,50 mètres, encore sous la surveillance de Jessy Deminguet. Trois Havrais sont restés en position défensive. Pierre Gibaud a, cette fois-ci, privilégié la deuxième position, laissant Jamal Thiaré attaquer le premier poteau pour tenter une déviation. Mais la synchronisation n’est toujours pas parfaite. Alors que le ballon redescend, Fernand Mayembo revient sur ses pas. S'il arrive à toucher le ballon en premier en devançant Prince Oniangué, l'international congolais n'attrape pas le cadre, sa tête filant au-dessus des cages de Rémy Riou. Les mêmes mécanismes ont été utilisés pour le dernier corner sortant, toujours exécuté par Quentin Cornette en seconde période. Son centre a dépassé tous ses partenaires pour finir au « troisième poteau ». Heureusement pour les Caennais, le canonnier « Ciel et Marine » n’était pas en réussite pour le « Nomandico ».