"A chaque fois que j’ai eu une proposition, l’amour du SM Caen a pris le dessus"
Entre le Stade Malherbe et Djibi Diao, tout a commencé par une rencontre en 2005. "J’ai eu la chance d’intégrer le club via Laurent Glaize (l’un de ses prédécesseurs comme responsable du recrutement des jeunes). C’est un agent, un ami de Laurent qui nous a présentés. Laurent souhaitait développer le recrutement sur Paris. Il cherchait des scouts, j’ai tout de suite dit oui", raconte cet ancien excentré gauche dont le rêve de devenir « pro » a été brisé de manière précoce par une blessure à un genou. "Je cherchais un peu ma voie et ça m’est tombé dessus. Cette vocation est venue car je suis avant tout un passionné de foot".
Alors qu’à l’époque, il ne possède aucune attache en Normandie, Djibi Diao tombe sous le charme du SMC. D’ailleurs, il lui a toujours été fidèle, au point d’en être, aujourd’hui, l’un de ses plus anciens salariés*. Et pourtant en 15 ans d’exercice, ce ne sont pas les sollicitations qui ont manqué, avec parfois des propositions financières largement supérieures. "C’est vrai que j’ai eu l’occasion de partir, dans des clubs du même calibre et d’autres plus huppés mais l’amour du SM Caen a pris le dessus à chaque fois". Preuve de la qualité de l’homme, il a survécu à toutes les crises qui ont frappé les « Rouge et Bleu » ces dernières saisons. Peu importe le président ou le coach en place, Djibi Diao a toujours été conservé. Et quelque chose nous dit que ce n’est pas demain que ça va s’arrêter.
*S’il travaille pour le Stade Malherbe depuis 2005, Djibi Diao n’en a pas toujours été un salarié. Au départ, le recruteur a eu un statut de vacataire avant de passer à mi-temps puis à temps plein depuis une dizaine d’années.
"Des gamins qui s’imprègnent de l’identité normande"
S’il possède un passé de footballeur au niveau régional et exerçait comme éducateur dans le milieu amateur, aux Mureaux d’où il est originaire, Djibi Diao a appris le métier de scout sur les terrains. "Quand j’ai commencé, aucune formation n’existait". Au fur et à mesure des années, le Caennais d’adoption a développé sa méthode. "Mais le recrutement n’est pas une science exacte", prévient-il. "Le plus important, c’est de connaître son club, de l’aimer, de maîtriser son environnement. A partir de là, on peut essayer d’identifier des joueurs qui sont en adéquation avec le projet de formation mis en place sur le plan sportif mais aussi scolaire et éducatif. Nous, au SM Caen, on veut des gamins qui s’imprègnent de l’identité régionale. Peu importe qu’ils soient Parisiens ou Bretons d’origine, à un moment donné, il faut qu’ils deviennent presque Normands".
Si les jeunes sont, bien entendu, repérés sur des critères footballistiques, l’aspect humain compte aussi énormément. "Quand on récupère des gamins, notre but, c’est de les faire grandir. Ils ne deviendront pas tous pros mais si on peut contribuer à en faire des hommes". D’ailleurs, le responsable du recrutement du centre de formation du Stade Malherbe se refuse à mettre en avant un joueur plus qu’un autre. "Je suis fier de tous ceux que j’ai fait signer ; ceux qui sont passés pros comme ceux qui ne l’ont pas été. Aujourd’hui, certains sont banquiers, travaillent dans des grandes compagnies d’assurance… Quoi qu’il arrive à la fin, on se serre la main car on ne leur pas menti sur le projet".
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Pilotée par Djibi Diao, la cellule de recrutement du centre de formation du Stade Malherbe comprend quatre scouts :
> un sur la Manche
> un deuxième sur la Bretagne
> un troisième sur la région parisienne
> un quatrième sur la Normandie
"L’idée, c’est de recruter autour de chez nous, en Normandie et dans les régions limitrophes". Travaillant déjà sur la région mais pour l’OM, Jean-Louis Mendes est le dernier arrivé. "C’est un expert de la Normandie. C’est une chance qu’il nous ait rejoint", se félicite Djibi Diao qui vient en renfort sur toutes ces zones. "Tous les week-ends, je suis sur les terrains, que ce soit en Normandie, en Bretagne ou à Paris. Le samedi, je m’organise pour voir trois-quatre matches et le dimanche deux toutes catégories d’âges confondues, des tout petits jusqu’aux N3-N2. Dès 9 heures le matin, on est dans les stades. Au SM Caen, il ne faut pas être réactif, il faut être proactif".
A noter qu’Axel Lablatinière, ancien responsable du recrutement à Angers quand Olivier Pickeu en était le manager général, a intégré la cellule du SMC en charge de la post-formation. Il détecte des joueurs susceptibles d’effectuer des essais avec la réserve (N2).
Dijibi Diao pilote une cellule de recrutement composée de six membres. ©Damien Deslandes
"Pour les jeunes et leurs familles, il y a des choses plus importantes que l’argent"
Dans un milieu de plus en plus concurrentiel, comment le Stade Malherbe parvient-il à attirer quelques-uns des meilleurs potentiels du bassin parisien ? Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas avec son portefeuille ! "Pour les jeunes et leurs familles, il y a des choses plus importantes que l’argent. Heureusement, sinon, beaucoup de clubs n’existeraient pas", annonce, avec un grand sourire, Djibi Diao, faisant notamment référence aux infrastructures et aux études. "Au SM Caen, on a un projet scolaire très cohérent avec pratiquement 100% de réussite aux examens. Ça rassure les familles. On a beau avoir le meilleur potentiel, ça ne donne aucune garantie de devenir pro. A cet âge (11-13 ans), la seule garantie qu’on a, c’est l’école".
Des familles séduites aussi par la réputation de club formateur qu’a su se tailler le SMC. "Le fait d’avoir autant de joueurs issus de chez nous qui, aujourd’hui, évoluent dans des grands clubs européens (Raphaël Guerreiro, Thomas Lemar, Youssef El Arabi pour ne citer qu’eux), que de nombreux jeunes émergent en équipe première (Alexis Beka Beka avant son transfert au Lokomotiv Moscou, Johann Lepenant, Kélian Nsona…) a rendu le SM Caen attractif". Et si le Stade Malherbe sort autant de joueurs, il le doit également à ses éducateurs. "C’est l’un des secrets de la réussite du SM Caen", leur rend hommage Djibi Diao. "Quand tu ramènes un gamin de 12, 13, 14 ans, aussi prometteur soit-il, c’est loin d’être encore un pro. Mais on a des éducateurs qui ont l’expérience, qui travaillent au club depuis des années comme Matthieu Ballon (l’entraîneur des U17) et Nico Seube (le directeur du centre de formation) qui connaît le club par cœur".
"Sur les très gros dossiers, c’est en moyenne entre 18 mois et deux ans de travail, parfois pour rien"
Devant l’entourage des joueurs, Djibi Diao leur « vend » un projet global, menant systématiquement jusqu’au bac. "L’idée, c’est de construire une histoire avec la famille, de bâtir une relation de confiance avec elle. Un lien fort que l’on conserve après la signature. Quand un jeune vient chez nous, c’est qu’avec sa famille, il est convaincu par notre projet". Toutefois, la signature d’un jeune peut se révéler être une véritable épreuve de patience.
"Avec l’attractivité du SM Caen, on se positionne sur les meilleurs potentiels par catégorie d’âge. Sur les très gros dossiers, entre le moment où on repère le gamin, qu’on établit le premier contact et celui où il s’engage, c’est en moyenne entre 18 mois et deux ans de travail, parfois pour rien", lance le responsable du recrutement. Il faut dire que les familles croulent sous les sollicitations, en provenance des quatre coins de la France. "Elles ont besoin de faire le tour de tous les projets. Je leur conseille de comparer. Pour nous, ça nécessite forcément beaucoup de rendez-vous, de négociations, de propositions, de contre-propositions…".
"On a besoin de joueurs de plus en plus intelligents"
En 15 ans de métier, Djibi Diao a été témoin de l’évolution du métier de scout. "Le foot change, il évolue, il avance… Aujourd’hui, les critères de recrutement sont beaucoup plus rigoureux. Auparavant, un gamin qui courrait vite, qui possédait une grosse capacité athlétique, il pouvait passer. Désormais, ça ne suffit plus. On a besoin de joueurs de plus en plus intelligents, capables de s’adapter à n’importe quel système de jeu". Certains changements nécessitent d’adapter sa stratégie de recrutement. "Avant, un gamin arrivait chez les pros autour de 20 ans, maintenant, à 16 ans et demi-17 ans, il pointe déjà le bout de son nez. Du coup, on a des jeunes qui signent pros qui sont, en réalité, en post-formation. Ils ont encore besoin d’apprendre, de jouer un peu en réserve".
Pour compenser cette formation accélérée, les éducateurs caennais font de plus en plus usage de la vidéo. "Comme les gamins font moins de terrains, c’est indispensable". Surtout qu’ils sont recrutés très (trop) jeunes, en raison de cette concurrence effrénée entre les clubs. "Il y a une incohérence car on nous demande de prendre des joueurs avec le moins de défauts possibles mais de plus en plus jeunes. Sauf que plus tu prends un gamin tôt, plus tu as de chance de te tromper. Au début, on ciblait des garçons de 14-15 ans, aujourd’hui, ils ont 12-13 ans". Et demain…
A Malherbe, la famille de Tidiam Gomis est venue "chercher le savoir-faire normand"
Tidiam Gomis, international U16, illustre la capacité de la cellule de recrutement du centre de formation, dirigée par Dijibi Diao, a attiré quelques-uns des meilleurs potentiels du bassin parisien. ©Damien Deslandes
Son nom est encore inconnu du grand public, pourtant, c’est l’un des espoirs les plus prometteurs du Stade Malherbe. Tidiam Gomis (sous contrat aspirant jusqu’en 2024), 15 ans, déjà surclassé avec les U19 et international U16 en équipe de France, illustre parfaitement la capacité du club caennais à attirer quelques-uns des meilleurs potentiels du bassin parisien. "Tidiam, il pouvait signer où il voulait. Il avait 15 propositions. Et au niveau financier, on ne pouvait pas rivaliser avec certaines", rappelle Djibi Diao.
Néanmoins, c’est sous le maillot « Rouge et Bleu » que ce jeune attaquant a décidé d’accomplir son cursus. "Sa famille est venue chercher le savoir-faire normand en matière de formation. Elle voulait un projet sportif, un projet scolaire, un projet humain", dévoile le responsable de la cellule de recrutement du centre malherbiste. Ce dernier a noué une relation de confiance avec l’entourage de ce « gamin » passé par Les Mureaux et Bouafle en Ile-de-France. "Avec sa famille, on a pris le temps d’apprendre à se connaître. Elle a découvert notre structure, les personnes avec qui leur fils allait travailler au quotidien. Comme pour Tidiam, beaucoup de familles privilégient l’épanouissement de l’enfant au quotidien à l’argent".