Quand vous avez été intronisé le 23 juin 2022 président du HAC, est-ce que vous auriez pu imaginer une seconde que dix mois plus tard le club doyen serait leader de Ligue 2 avec six points d’avance sur le troisième avant cette 36e journée ?
"Evidemment non. Il y a dix mois, personne n’aurait pu l’imaginer. C’était inconcevable. On s’apprêtait à attaquer une saison de Ligue 2 avec toute la complexité que cela représente et notamment une grande disparité de moyens entre les clubs ; les trois relégués de Ligue 1 touchant un pactole et les autres non(1). Notre idée première était de se stabiliser, de faire revenir du public à Océane et de préparer la suite.
(1)Afin, notamment, de développer le montant de ses droits TV nationaux et à l’étranger, la LFP a créé une société commerciale. En injectant 1,5 milliard d’euros, le fonds d’investissement luxembourgeois CVC en est devenu actionnaire à hauteur de 13,04%. Les 20 clubs de L1 lors de la saison 2021-2022 se sont partagés les trois quarts de cette somme ; les relégués en L2 (Metz, Saint-Etienne et Bordeaux) ont touché 16,5 M€ (avec deux versements étalés sur deux ans). A titre de comparaison, les 17 autres pensionnaires du championnat de deuxième division ont perçu 3 M€.
Le moins que l’on puisse affirmer, c’est qu’au coup d’envoi de la saison les observateurs ne vous plaçaient pas parmi les favoris à l’accession, à commencer par notre rédaction…
"L’été dernier, quand je lisais certains de vos confrères qui travaillent dans la grande presse sportive nationale, on nous plaçait dans la charrette pour descendre. J’ai été surpris par ce scepticisme ambiant. D’ailleurs, encore aujourd’hui, ces mêmes médias, L’Equipe, entre autres, pour ne pas le citer, continuent presque de nous considérer comme des « imposteurs ». On a l’impression qu’on ne devrait pas être à cette place. On attendait le Paris FC, Guingamp, Caen, Sainté, Bordeaux, Metz, Dijon, Sochaux…"
N'étiez-vous pas un peu inquiet quand même ? La nouvelle équipe dirigeante que vous présidez n’a été nommé que 48 heures avant la reprise de l’entraînement, vous n’aviez quasiment pas de budget pour recruter, la campagne de matches de préparation n’avait pas été fameuse…
Après nos matches amicaux, j’ai entendu des choses aberrantes. Comme si les matches amicaux avaient la moindre signification… Tout le monde s’inquiétait sauf nous. Je savais dans quelles conditions avait été réalisé le recrutement. On n’a pas fait ça en huit jours. Mathieu (Bodmer, le directeur sportif), Julien (Momont, le responsable de l’analyse du jeu et de la data) et Momo (El Kharraze, le directeur sportif adjoint) y réfléchissaient depuis des semaines. Vous savez, Yassine Kechta, c’est le premier contrat que j’ai signé en tant que président du HAC. C’est intervenu 24 ou 48 heures après notre arrivée. Vous vous doutez bien que ce n’est pas en une journée qu’on a décidé de lui faire signer son premier contrat pro. Tout avait été anticipé".
Une accession en L1 permettrait au club doyen de réduire ses pertes économiques car comme le rappelle Jean-Michel Roussier : "La Ligue 2 est un championnat où les pertes sont obligatoires (12,6 M€ de déficit structurel en 2022)". ©Emmanuel Lelaidier
Selon vous, quels sont les ingrédients qui contribuent au succès du HAC cette saison ?
"Un énorme travail, à tous les niveaux du club. Il n’y a pas de recette miracle. Ce n’est pas tombé du ciel. Tout ce qui a été mis en place par Luka (Elsner) et son staff, avec notamment cette intensité dans les entraînements, payent. Les joueurs ont adhéré. Et malgré tout ce que j’ai pu entendre, on a effectué un recrutement de grande qualité l’été dernier et aussi au mois de janvier".
Avoir fait signer ou prolonger des jeunes que la direction précédente ne voulait plus (Yassine Kechta, Josué Casimir), avoir permis à des joueurs de retrouver leur meilleur niveau (Victor Lekhal)… Est-ce qu’elle n’est pas là la plus grande réussite de l’équipe dirigeante de cette saison ?
"Tout comme d’avoir parié sur Arthur Desmas, Gautier Lloris, Christopher Opéri, Terence Kongolo… Quand on a recruté ces garçons, tout ce qu’on a entendu, c’est : « Oui, mais ils arrivent libres ». Encore une fois, il y avait un scepticisme incroyable autour de notre équipe".
Un homme symbolise particulièrement ce « nouveau » HAC, c’est Mathieu Bodmer…
"A partir du moment où je redevenais président d’un club ; et pour ça, il fallait que le projet soit attractif, je voulais travailler avec certaines personnes dont Mathieu. Quand je l’ai vu à l’œuvre dans ses analyses (sur le plateau de Téléfoot la chaîne où il a été lancé comme consultant TV par Jean-Michel Roussier en 2020), quand j’ai vu sa connaissance du foot en général, et encore plus particulièrement du football normand, c’était une évidence. Vous savez, au cours de ma carrière de président, j’en ai connu des directeurs sportifs et des managers, de qualité variée (sourire). Mathieu, lui, c’est une bible. Il bosse énormément. Tout comme Julien (Momont) que j’avais aussi recruté à Téléfoot. Dans mon esprit, la condition pour que je replonge dans un club, c’est qu’ils m’accompagnent".
"Vous savez, le talent, c'est rare, ce n'est pas donné à tout le monde. Il faut être conscient de la qualité des gens qui travaillent avec vous". Jean-Michel Roussier ne tarit pas d'éloges sur Mathieu Bodmer qu'il avait lancé comme consultant TV sur Téléfoot la chaîne. ©Damien Deslandes
Aujourd’hui, est-ce que le danger pour le HAC, ce n’est pas qu’un club, de la dimension du PSG par exemple, décroche son téléphone pour débaucher Mathieu Bodmer ?
"C’est le propre de la vie d’entreprise, surtout d’une entreprise comme la nôtre. Vous savez, le talent, c’est rare, ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut être conscient de la qualité des gens qui travaillent avec vous".
Cette saison, Vincent Volpe, le propriétaire du club, s’est mis en retrait de l’opérationnel. De l’extérieur, on a l’impression qu’il vous a laissé les clés du camion…
"Vincent est sur un modèle très américain. Il y a l’actionnaire d’un côté et l’exécutif de l’autre. Il m’a laissé de très larges délégations. C’est tout à son honneur. J’engage le club dans tous les dossiers qui doivent l’être dans des domaines aussi variés que le recrutement des joueurs professionnels ou la réhabilitation de la Cavée Verte. Maintenant, je ne décide pas seul. Avec Vincent, on est en dialogue permanent. Si le besoin s’en fait ressentir, on peut s’appeler plusieurs fois par jour".
Vous venez de faire référence à "la réhabilitation de la Cavée Verte". Au-delà des résultats de l’équipe professionnelle, est-ce que les travaux de rénovation du centre de formation ne constituent pas la priorité pour le HAC ?
"C’est essentiel. La saison dernière, on a été classé deuxième meilleur centre de formation de France par la DTN (Direction technique nationale) derrière Lyon. La satisfaction passée, il faut se donner les moyens d’y rester afin de faire émerger des gamins à haut niveau. Et il y en a. Au Havre, on a beaucoup de 2006, de 2007 (nés en) de très haut niveau (en demi-finale du championnat de France U17 samedi contre Marseille). C’est pourquoi le centre de formation est un chantier majeur qui va justifier un certain investissement. Heureusement sur ce dossier, la Région, le Département (de Seine-Maritime) et la Ville nous accompagnent. Au-delà de ces investissements, on a aussi mené une réflexion pour resserrer notre élite au centre. On est arrivé à un stade où des gamins ne jouent pas le week-end car ils sont trop nombreux par tranche d’âge. Ce phénomène ne doit plus exister. On n’est pas un centre de loisirs. L’idée, c’est d’avoir moins de jeunes dans nos effectifs afin de privilégier la qualité sachant qu’en plus, nos infrastructures ne sont pas extensibles à l’infini. Loin de là. D’ailleurs, le nombre de terrains disponibles et la qualité de nos pelouses font partie de nos soucis majeurs. Le terrain de la Cavée Verte est fermé depuis trois mois (à cause de larves de hannetons ! Même si quelques matches se sont joués ces dernières semaines). Nos équipes sont obligées d’aller jouer à Yvetot ou je ne sais où... Bien sûr que c’est un axe de développement mais pour le moment, on n’en est qu’au stade de la réflexion car cela représente un coût".
Au niveau de la formation, Jean-Michel Roussier annonce un resserrement des effectifs dans l'optique de la saison prochaine. "On est arrivé à un stade où des gamins ne jouent pas le week-end car ils sont trop nombreux par tranche d’âge. Ce phénomène ne doit plus exister. On n’est pas un centre de loisirs". ©Emmanuel Lelaidier
Ce resserrement des effectifs dans vos catégories de jeunes va également avoir pour conséquence des économies au niveau du centre…
"Notre structure « Association », qui comprend le centre de formation et les féminines, a une économie qui n’est pas soutenable en Ligue 2. Sur la partie association, on a un niveau de charges qu’on retrouve sur des clubs de milieu de tableau de Ligue 1 ! Je ne suis même pas sûr qu’à Marseille, il y a un niveau de charge équivalent. Pour de la Ligue 2, on est surdimensionné. Il faut le réduire. On va faire des actions dans ce sens comme le resserrement de nos effectifs ou le passage des joueurs sous contrat stagiaire pro et de l’équipe féminine en D1 dans la SASP (qui gère les « pros »). Je rappelle que tous les contrats ont un coût. Quand vous vous engagez avec un gamin et sa famille, vous devez assumer la scolarité, l’hébergement, les repas… Maintenant, en resserrant nos effectifs, on ne poursuit pas un objectif économique, c’est une conséquence de cette politique".
Quand on est un club formateur comme le HAC, est-il plus simple de conserver et de valoriser les jeunes issus de sa formation en Ligue 1 ? Le club aurait-il eu les moyens de garder des joueurs comme Saël Kumbedi (Lyon), Isaak Touré (Marseille prêté à Auxerre) et Abdoullah Ba (Sunderland) s’il avait évolué en première division ?
"Tout d’abord, la volonté des garçons d’aller voir ailleurs, elle existera toujours. Maintenant, c’est possible qu’en Ligue 1, ce soit plus facile de les garder. Si le club avait été en Ligue 1, je pense que les discussions auraient été différentes avec Saël et Isaak. La différence avec la Ligue 2, ce sont les moyens dont vous disposez. Un club qui se veut formateur doit avoir un noyau issu de son centre représentant 40% de son effectif dont quatre-cinq comme titulaire. C’est ce qu’on a cette saison (Arouna Sanganté, Victor Lekhal, Amir Richardson, Yassine Kechta, Josué Casimir). Je pense que c’est applicable en Ligue 1. Nos jeunes auront autant de chances d’intégrer le groupe pro en Ligue 1 qu’en Ligue 2. C’est notre modèle, on doit mettre en avant nos joueurs. L’économie de notre club repose sur la formation. On n’a pas les moyens de mettre 100 M€ sur le marché des transferts. En début de saison, on a décidé de ne prendre aucun prêt sec pour ne pas envoyer de mauvais signaux à nos jeunes, pour ne pas freiner leur progression… Les seuls qu’on a pris, ce sont Terence Kongolo et Check Diakité dans les dernières heures du mercato pour répondre à des besoins ponctuels. Mathieu a insisté sur cette politique. Pourtant, on nous a proposé des dizaines de mômes du même âge que les autres appartenant à des clubs de Ligue 1 : Rennes, Nantes…
Vous y faisiez référence au début de notre entretien, l’un de vos objectifs cette saison était "de faire revenir du public à Océane". Avec près de 11 500 spectateurs en moyenne, deux guichets fermés contre Bordeaux et Saint-Etienne et un engouement qui ne cesse de croître, le pari semble réussi ?
"Si vous reprenez mes propos du mois de juin, j’avais fixé deux objectifs : redonner de la vie à Océane et que notre équipe soit composée d’un noyau de jeunes issus de notre centre de formation. Aujourd’hui, nous sommes parfaitement en phase avec mes déclarations. On va doubler notre moyenne de spectateurs par rapport à la saison dernière alors qu’on est resté dans la même division. On peut imaginer que si c’est amené à nous sourire et qu’on accède à la Ligue 1, on réalisera de très belles affluences la saison prochaine. Comment j’explique le retour du public ? Il y a le classement qui n’est pas neutre, les joueurs et la façon dont Luka fait jouer l’équipe. Il y a un Luka time avec ces victoires acquises dans le dernier quart d’heure(3). Cette équipe a des ressources physiques et morales au-dessus de la moyenne".
(3)En inscrivant notamment 15 buts entre la 75’ et la 90’, le HAC a engrangé neuf points dans le dernier quart d’heure ; aucun club de Ligue 2 ne fait mieux.
Au regard de son potentiel sportif, économique, démographique (15e agglomération de France), est-ce que le HAC a le potentiel demain pour faire partie des 15 meilleurs clubs de France(4) ?
"Raisonnablement, oui. Maintenant, si on est en Ligue 1, la saison prochaine sera compliquée. Il ne faut pas s’imaginer qu’on va lutter pour les Coupes d’Europe. Il y aura des moments difficiles, il ne faut pas se leurrer. Et ce n’est pas qu’une question d’argent sinon le Paris Saint-Germain aurait remporté la Ligue des Champions depuis longtemps. Il faut surtout de l’expérience. Je pense que dans toutes les composantes du club, on l’a. Il faudra de la maîtrise, de la sérénité, du calme… Si nous, dirigeants, on se met à vivre au rythme hebdomadaire du week-end, on est mort".
(4)A partir de la saison prochaine (2023-2024), la Ligue 1 ne comprendra plus que 18 clubs ; les deux derniers seront relégués à l’étage inférieur alors que le 16e disputera un barrage aller-retour contre le vainqueur des play-off de Ligue 2.
> L2. J36 - Le Havre AC (1er - 71 points) / Valenciennes (18e - 39 points), lundi 22 mai à 20 H 45 au Stade Océane.
Jean-Michel Roussier
> Président-directeur général du Havre AC.
> Né le 2 août 1955 (67 ans) à Suresnes (Hauts-de-Seine).
> Dirigeant - Directeur de chaînes de TV.
> Parcours : Marseille (président, L2-L1, 1995-1999), CFoot (février 2011 - mai 2012), Nancy (février 2018 - février 2020, L2), Téléfoot la chaîne (mars 2020 - février 2021).