Aucun autre dirigeant normand n'a autant incarné son club que Gilbert Guérin. Il faut dire qu'il a présidé l'US Avranches durant 33 ans ! Pourtant, peu de gens s'en souviennent mais son aventure footballistique a démarré avec le Stade Malherbe (!) dont il fut membre du Comité directeur à la fin des années 1980. Son entreprise de peintures en bâtiment et industriel fut même l'un des sponsors maillot des « Rouge est Bleu ». Mais c'est bien sûr à la tête de l'USAMSM que ce personnage haut en couleur s'est fait connaître dans le monde du ballon rond. Sous sa mandature, le pensionnaire du Sud-Manche n'a cessé de progresser, passant d'un statut de club régional à celui de plus ancien pensionnaire du N1 ; les « Bleu et Blanc » vivant leur dixième saison consécutive dans cette division, série en cours.
"Depuis notre première montée en D4 en 1988, nous n'avons jamais quitté le niveau national", soulignait fièrement celui qui fourmillait d'idées. L'un de ses premiers fait d'armes, pas le moins retentissant, fut d'associer le nom de son club à celui du Mont-Saint-Michel, l'un des principaux sites culturels visités en France, via un accord avec le maire de la commune éponyme à l'époque, Eric Vannier. Avec, notamment, pendant longtemps une réserve en N3, des U19 et des U17 nationaux, Gilbert Guérin aimait aussi rappeler à ceux qui voulaient bien l'entendre que l'US Avranches était devenue "le meilleur club amateur de France" même si, aujourd'hui, le fonctionnement de son équipe fanion se rapproche plus de celui d'une structure « pro » ; évolution du football oblige.
"Depuis notre première montée en D4 en 1988, nous n'avons jamais quitté le niveau national"
Gilbert Guérin
D'ailleurs, au fil de l'ascension de l'USAMSM, il s'était construit un réseau à faire pâlir n'importe quel acteur du monde du ballon rond. Ses interlocuteurs : Nasser Al-Khelaïfi, Mino Raiola, Noël Le Graët, Jean-Michel Aulas... Pour ne citer qu'eux. Si le parcours de l'US Avranches en championnat force le respect, c'est également à travers ses différentes épopées en Coupe de France qu'elle s'est fait un nom dans le paysage du football français. Alors qu'il n'avait jamais franchi le cap du 8e tour avant l'arrivée de Gilbert Guérin aux manettes, le club du Sud-Manche s'est qualifié depuis à 12 reprises pour les 1/32e de finale ! Pour atteindre ce stade de l'épreuve la première fois, durant l'exercice 1990-1991, la bande à Bernard Maccio s'était rendue jusqu'en Guyane ; un déplacement qui avait profondément marqué tous les protagonistes de l'époque.
Meilleur promoteur de son club, Gilbert Guérin ne manquait jamais une occasion de rappeler que l'US Avranches était devenue "le meilleur club amateur de France". ©Roland Le Meur
Un amour pour la Coupe de France
"A Avranches, la Coupe de France nous a beaucoup apportés tant sportivement qu'humainement. Que ce soit chez nous ou chez eux, on a affronté à une dizaine de reprises des représentants de l'Outre-mer. C'est autant de rencontres avec des gens", racontait le président normand qui vouait un véritable amour pour cette « Vieille Dame ». Un amour né pendant son enfance. "J'avais assisté à la TV aux exploits de Quevilly (demi-finaliste en 1968, premier club amateur à rejoindre le dernier carré depuis l'avènement du professionnalisme). Plus jeune, je me souviens aussi de Granville qui avait atteint les 1/16e, en 1968. J'étais spectateur. Ça m'a tellement marqué qu'aujourd'hui, je suis encore capable de donner la composition de l'équipe de Granville qui a battu le Bataillon de Joinville(1)".
"Un parcours dans cette compétition, c'est quelque chose de fabuleux. Il n'y a rien de plus beau. C'est un truc de dingue"
Gilbert Guérin
Cette Coupe de France, elle lui a, certainement, procuré sa plus belle émotion en tant que dirigeant. Le 5 avril 2017, dans un Stade Michel-d'Ornano, à Caen, à guichets fermés, devant 20 000 spectateurs, « son » US Avranches défie en quart de finale le Paris Saint-Germain de Blaise Matuidi, Javier Pastore, Hatem Ben Arfa... "Un parcours dans cette compétition, c'est quelque chose de fabuleux. Il n'y a rien de plus beau. C'est un truc de dingue. Ça fait bouger toute une région. A titre personnel, je pense le mériter mais comme 3 000 autres présidents de club en France. On vit un rêve". Un rêve qu'il avait retranscrit sur le bus de l'équipe avec ce slogan « Rêvons éveillés !! », librement inspiré de celui du PSG « Rêvons plus grand ».
Une poignée de semaines auparavant, quand le tirage au sort lui avait désigné la formation parisienne comme futur adversaire, Gilbert Guérin n'avait pu contenir ses sentiments, lui qui n'était pas réputé pourtant pour être le plus exubérant des hommes. C'est un euphémisme. "D'habitude, je garde ma joie à l'intérieur. Dans ma tête, j'ai peur de la dépenser donc je la reporte au lendemain voire au surlendemain. Quand j'avais remporté un Grand Prix hippique, le prix du Président de la République avec Franck Nivard à Vincennes (en 2004), j'avais tout gardé pour moi", expliquait ce féru de chevaux. "Mais quand on a tiré le PSG, j'ai fait une exception. L'émotion était trop forte. On s'est même mis à danser". De cette magnifique fête populaire que constitue un quart de finale de Coupe de France contre une écurie du calibre du PSG, le président avranchinais en a laissé un héritage pour son club.
Amoureux de la Coupe de France depuis sa plus tendre enfance, Gilbert Guérin avait certainement vécu l'une de ses plus émotions en tant que président lors de cette compétition avec ce quart de finale contre le PSG, en 2017. ©Roland Le Meur
Un centre d'entraînement comme héritage
Les bénéfices de cette affiche, dont la part de recettes laissée par les dirigeants parisiens, avaient contribué à la construction du centre d'entraînement à Saint-Martin-des-Champs. Comprenant, entre autres, plusieurs terrains dont un synthétique, des vestiaires, une salle de musculation, cette structure a de quoi rendre jaloux de nombreux pensionnaires de Ligue 2. Incontestablement, l'une des plus grandes réussites de Gilbert Guérin. Un centre d'entraînement, comme le club house au Stade René-Fenouillère, en grande partie bâti par des bénévoles. C'était l'une des forces du président de l'USAMSM : il savait fédérer. "J'ai été bluffé par le nombre de bénévoles autour de Gilbert. C'est fantastique. Ça permet au club d'engager des projets malgré des moyens (financiers) limités", commentait Jean-François Fortin l'année dernière quand nous lui avions demandé les raisons de son engagement auprès de l'US Avranches depuis 2019(2).
Alors, bien sûr, Gilbert Guérin avait un caractère bien trempé. Quiconque l'a côtoyé s'est au moins fait engueuler une fois. Les journalistes qui couvrent les « Bleu et Blanc » peuvent en témoigner. Mais le président normand tournait vite la page. Cinq minutes après vous avoir mis la soufflante de votre vie, il pouvait revenir vers vous pour discuter tranquillement de n'importe quel sujet. C'était tout le charme de ce personnage attachant dont le verbe « déléguer » ne faisait pas partie de son vocabulaire. Pour preuve, il n'était pas rare qu'il fasse lui-même les courses pour les collations de ses équipes, afin de s'assurer que les « bons » produits, sous-entendu les moins chers, soient achetés.
"Je fais partie de la vieille école qui consiste à ne pas dépenser de l'argent avant d'en avoir gagné"
Gilbert Guérin
Car Gilbert Guérin était avant tout un gestionnaire qui a toujours franchi l'obstacle de la DNCG, le gendarme financier du football français, sans encombre. Pour cet ancien conseiller municipal pendant 25 ans dont les deux tiers comme adjoint aux affaires économiques, un sou était un sou. "Je fais partie de la vieille école qui consiste à ne pas dépenser de l’argent avant d’en avoir gagné. C’est toujours comme ça que j’ai fonctionné dans mon entreprise", nous avait-il confié cet été avant que les premiers symptômes de la maladie apparaissent. A l'âge de 20 ans, il avait lancé sa « boîte » de peintures en bâtiment et industriel. Il l'a dirigée pendant 45 ans avant de partir à la retraite en 2016. "A mes débuts, j'étais tout seul. Quand j'ai pris ma retraite (en 2016), j'avais 110 salariés répartis sur quatre sites (Caen, Rouen, Nantes et Avranches)". Une chose est sûre, à Avranches, que ce soit dans la ville ou dans le club de foot, Gilbert Guérin a laissé une trace indélébile. Il va beaucoup manquer.
(1)Unité militaire de l'armée française composée de sportifs dont des footballeurs, le Bataillon de Joinville avait à l'époque une équipe en deuxième division.
(2)Campagne de France, marque appartenant au groupe Les Maîtres Laitiers qui Cotentin dont Jean-François Fortin fut le directeur général pendant 35 ans, est l'un des sponsors maillot de l'US Avranches.