Son retour dans le monde « pro »
"Il n’y a que le résultat qui compte. On n’est jugé que là-dessus"
Après sept années à la formation, Nicolas Seube est retourné fin novembre chez les « pros » ; un monde qui a bercé sa vie pendant ses 16 saisons comme défenseur (ou milieu) sous le maillot « Rouge et Bleu ». "La différence avec mon parcours au centre, peu importe la casquette que je portais (adjoint en U17, responsable des U19, directeur), il n’y a que le résultat qui compte. On n’est jugé que là-dessus. Le cœur de notre métier, c’est de préparer les joueurs à répondre présent le samedi. L’analyse du contenu des matches n’intervient que bien plus tard, quand on commence à gagner beaucoup". S’appuyant sur des convictions fortes et un projet de jeu clair même s’il débute dans la fonction, le coach malherbiste n’entend pas déroger à sa ligne directrice. "Ce n’est pas parce qu’on perd qu’il faut changer sa façon de s’entraîner. Je n’y crois pas. Le résultat de notre travail doit se voir sur la durée. Je mets des choses en place pour. Je ne fais pas ce métier de manière éphémère".
Surtout qu’une victoire peut être, paradoxalement, votre ennemi le plus sournois. "Quand vous l’emportez, vous avez tendance à vous reposer sur vos lauriers. C’est là où il faut être encore meilleur. On doit toujours avoir la capacité d’analyser ce qu’on a fait de bien et de moins bien pour chercher autre chose". Et dans la défaite ? "Il faut trouver les leviers pour vite réagir afin de ne pas semer le doute. Ça demande tellement de temps pour acquérir de la confiance". Au-delà de la remise en question naturelle de la part des partenaires de Romain Thomas à la suite d’un revers, le staff de Nicolas Seube, vidéo à l’appui, montre à son groupe les points forts et les points faibles de chacune de ses prestations. "On doit être en mesure d’expliquer aux joueurs : « Qu’est-ce qu’on a mis en œuvre pour gagner la dernière fois ? Et qu’est-ce qu’on n’a pas reproduit sur ce match pour obtenir le même résultat »". Pour le technicien, un constat s’impose : "On ne peut pas être en dessous d’un certain niveau pour s’imposer. Aujourd’hui, on ne peut pas gagner un match en étant juste moyen. Ça demande une grosse débauche d’énergie".
Sa décision la plus impactante
"Inclure tout le monde dans le projet"
Depuis sa nomination, Nicolas Seube a pris un certain nombre de décisions : s’adjoindre les services de Manu Lepresle en tant que préparateur physique, installer définitivement Brahim Traoré en défense centrale, promouvoir dans le onze de départ Noé Lebreton... Mais laquelle a été la plus impactante ? "Inclure tout le monde dans le projet", répond-il. "La qualité principale d’un manager, c’est de tirer la quintessence de chacun. On a voulu instaurer une concurrence saine. Tous les joueurs ont leur carte à jouer, même ceux qui n’apparaissent pas aujourd’hui dans les 18". Des paroles aux actes, il n’existe visiblement qu’un pas pour le technicien caennais qui a déjà utilisé 23 éléments (seuls Syam Ben Youssef, Vladislav Molchan et Djibril Diani, avant son départ aux Etats-Unis, n’ont pas eu de temps de jeu sous sa direction) sans que le rendement de son équipe n’en soit altéré. "Jusqu’à maintenant, tout le monde a répondu présent".
Cette mobilisation d’un maximum d’éléments se base sur une expérience récente vécue au Stade Malherbe et dont Nicolas Seube avait été le témoin. "Fabrice (Vandeputte) avait rapidement mis de côté des mecs comme (Anthony) Weber, (Anthony) Gonçalves… Finalement, tu en avais eu besoin. C’est Antho qui obtient le penalty à la dernière seconde", rappelle le coach normand référence à cet exercice 2020-2021 où le SMC s’était sauvé lors de l’ultime journée. "Je ne voulais pas commettre cette erreur. Il faut faire attention aux décisions trop radicales. Avec un changement d’entraîneur, on ne sait pas le visage qu’un joueur peut afficher. Et puis il y a des contextes qui peuvent expliquer certaines contre-performances, que le grand public ne connaît pas obligatoirement".
Prenant le contre-pied de ce qui s'était fait en 2021 sous Fabrice Vandeputte, Nicolas Seube, ici, tout sourire avec Mathias Autret, a souhaité impliquer l'ensemble de l'effectif « pro » à son projet. Depuis sa nomination, le technicien a déjà utilisé 23 joueurs. ©Damien Deslandes
La gestion du vestiaire
"Il y a de plus en plus de gens qui tournent autour des joueurs"
"La difficulté chez les pros, c’est le management des hommes, les états d’âme des uns, les déceptions des autres…" Avec un bilan de 26 points engrangés par le SMC sur les 36 mis en jeu depuis le début de son mandat, Nicolas Seube n’a pas encore eu de forte tension à appréhender dans son vestiaire, lui qui accorde une importance toute particulière aux relations humaines. "Compte tenu de nos résultats, la gestion en interne est assez simple", confirme l’ancien défenseur. "Les temps de jeu, les mécontents… Quand on gagne, on ne peut pas reprocher grand-chose au coach. Lorsqu’on perd, certains choix peuvent être remis en cause : les joueurs qui composent votre groupe, votre onze…"
S’il n’a quitté le monde « pro » qu’en 2017, quand il a raccroché ses crampons de joueur, le technicien a constaté que certaines choses avaient tout de même évolué, et pas forcément dans le bon sens à ses yeux. A commencer par l’entourage des joueurs. "Il y a de plus en plus de gens qui tournent autour d’eux, qui prennent de plus en plus de place". Des entourages qui peuvent inciter leur « poulain » à un départ. "Quand on signe un contrat, on défend les intérêts d’un club. Ces structures, elles, prétendent défendre les intérêts du joueur. Reste à prouver que le mieux pour lui est de partir ailleurs", s’interroge-t-il. "Je suis partisan de dire les choses aux joueurs, qu’elles soient positives ou négatives. Ils doivent comprennent ce qu’on attend d’eux. La complexité, c’est quand les discours divergent. Entre ceux qu’on leur tient en interne et ceux qu’ils entendent à droite, à gauche... Une fois que le garçon est chez lui, on n’a plus la main".
Un premier mercato de négocié
"On ne maîtrise pas tous les paramètres. Il faut aussi comprendre le joueur, le club"
Avec sa promotion à la tête de l’équipe première, Nicolas Seube a découvert les affres du mercato et de ses spécificités. "Ça n’a pas été simple à gérer", ne cache pas l’entraîneur normand. "Aujourd’hui, c’est compliqué de mener un projet sur le long terme car, du jour au lendemain, tout peut être bousculé. Quand j’étais joueur, j’ai eu la chance de connaître des groupes qui perduraient dans le temps". En janvier, au-delà de la difficulté pour dénicher des profils devant correspondre autant aux besoins sportifs qu’aux moyens financiers, il a fallu composer avec des marchés à l’étranger s’étendant désormais après le 31 janvier. Conséquence, certains plans initiaux ont été rendu caducs. "Si on avait eu le choix de faire différemment, peut-être que ça aurait été le cas. Maintenant, on ne maîtrise pas tous les paramètres. Il faut aussi comprendre le joueur, le club. Chaque partie a des intérêts à défendre", développe le coach malherbiste qui a été confronté à un exemple concret début février avec Caleb Zady Sery.
A six mois de la fin de son contrat avec les « Rouge et Bleu », l’Ivoirien s’est engagé pour trois ans et demi avec le FK Vojvodina Novi Sad, en D1 serbe. Toutefois, l’ancien responsable de la réserve n’est pas tombé de sa chaise en apprenant le transfert de l’ex-Ajaccien. "Je savais très bien que si Caleb avait une opportunité, il risquait de nous quitter. Comme avec tous les joueurs de l’effectif, j’ai eu une discussion avec lui pendant le stage (à Deauville, à la reprise en janvier). Par rapport à ce qu’on lui a proposé, on ne pouvait pas lutter". Le plus frustrant dans cette histoire, c’est qu’après des mois au placard, notamment sous Jean-Marc Furlan, Nicolas Seube était parvenu à relancer Caleb Zady Sery. Il s’était d’ailleurs montré décisif lors du succès à Bastia (J21. 2-1, le 23 janvier). "Caleb revenait dans des dispositions ultra-intéressantes, il apportait une plus-value à l’équipe". Dans le sprint final pour les barrages, il aurait pu se révéler être un atout précieux.
Au regard de son bilan comptable, Nicolas Seube n'a pas encore eu de « crise » à gérer au sein de son vestiaire. Mais le coach caennais est parfaitement conscient que le management des hommes est l'une des principales difficultés dans la gestion d'un groupe « pro ». ©Damien Deslandes
Faire franchir un cap au club
"Si on n’a pas un effectif compétitif, même avec les infrastructures du PSG, on ne fera rien"
Malgré seulement trois mois et demi de vécu, Nicolas Seube a eu le temps de procéder à un état des lieux. Le technicien a déjà identifié quelques secteurs dans lesquels le club caennais peut franchir un cap : utilisation de GPS en live aux entraînements, de la vidéo de manière encore plus fréquente. L’ex-n°2 emblématique des « Rouge et Bleu » pointe également les infrastructures. "Même si elles sont qualitatives, on est en retard à ce niveau". Référence notamment à la salle de musculation, "pas adaptée par rapport au nombre de joueurs qu’on a". Du coup, "on est en difficulté sur le travail de prévention". Durant quelques années, le Stade Malherbe avait trouvé une parade en installant une tente XXL, accolée au vestiaire d’entraînement, avec des équipements à la pointe. Problème, cette solution, héritée du dernier passage en Ligue 1 du SMC, en 2018-2019, s’est révélée particulièrement onéreuse.
Car le développement de ces infrastructures ne doit pas s’opérer au détriment de l’enveloppe allouée au recrutement. "L’urgence, ce sont les résultats sportifs. Et ils ne dépendent que des joueurs à disposition", souligne le coach normand. "Si demain, on ajoute un terrain hybride supplémentaire, est-ce que ça nous fera gagner plus de matches ? Je ne suis pas sûr. Vous savez, je me suis entraîné six mois à Pompidou". Pour son retour en L1, en 2013-2014, en raison des Jeux Equestres Mondiaux, le Stade Malherbe avait dû effectuer ses séances une grande partie de la saison sur un synthétique ; ce qui ne l’avait pas empêché de décrocher son maintien. "Si on n’a pas un effectif compétitif, même avec les infrastructures du PSG, on ne fera rien".
Et les 100 prochains jours…
"Le classement n’aura de valeur que le 18 mai"
Depuis son succès en terre paloise le week-end passé (J26. 3-2), le Stade Malherbe a intégré le Top 5, à seulement trois longueurs de la 3e place occupée par Laval. De quoi faire naître les espoirs les plus fous chez les supporters « Rouge et Bleu ». "On s’est donné le droit de pouvoir espérer quelque chose à 11 matches de la fin. Personne n’y aurait cru", souligne Nicolas Seube. Il faut dire que quand il est arrivé, l’équipe caennaise pointait en 16e position avec trois petits points d’avance sur la zone rouge. "Il faut se remémorer l’état des troupes avant ma prise de fonctions".
Néanmoins, le chemin est encore long avant même d’envisager de participer aux play-offs. "Le classement n’aura de valeur que le 18 mai (le soir de la 38e et dernière journée)", martèle le coach normand parfaitement conscient que cette dynamique demeure fragile. "Ça peut aller très vite dans l’autre sens. C’est pourquoi il faut rester mesuré". Surtout que les trois mois qui se profilent seront peut-être encore plus durs que les trois qui viennent de s’écouler pour la bande à Romain Thomas. "C’est possible car dans la dernière ligne droite, il y a de l’enjeu partout. Les matches vont se corser. Et puis confirmer, c’est toujours plus complexe de surprendre". S’il est toujours sur le pont le 2 juin, date du barrage retour contre le 16e de Ligue 1, le SMC aura vraiment continué de nous surprendre en confirmant son incroyable parcours entamé début décembre.
> L2. J27 - SM Caen (5e - 42 points) / Paris FC (12e - 36 points), samedi 9 mars à 19 heures au Stade Michel-d'Ornano.
"Si un mec mange des crêpes au nutella mais qu'il m'envoie du steak sur le terrain..."
Pour Nicolas Seube, les moments de décompression partagés entre les joueurs sont très importants dans créer et entretenir la dynamique de son équipe. ©Damien Deslandes
Parmi les secteurs à améliorer au Stade Malherbe (lire ci-dessus), Nicolas Seube a également pointé la nutrition, sachant qu'aujourd'hui, les « pros » ne partagent aucun repas en commun. Autant dire que cet aspect du travail invisible passe par la maison. "Qu'est-ce que ça signifie réellement de bien se restaurer ?", interroge le coach normand. "Les joueurs et leur famille doivent comprendre ce qui est cohérent de manger par rapport au métier exercé car sur ce sujet, ils sont en autonomie. C'est pourquoi il faut les sensibiliser à la question". Pour l'ancien capitaine du SMC, au-delà de l'équipe première, la nutrition est un thème concernant l'ensemble des composantes du club. "C'est une éducation. Le travail doit commencer dès la formation".
Défenseur du bien-être, Nicolas Seube se refuse, toutefois, à scruter le moindre aliment consommé par ses protégés. "Il ne faut pas non plus interdire aux joueurs de faire n'importe quoi. Si un mec mange des crêpes avec du nutella mais qu'il m'envoie du steak sur le terrain le lendemain, ça me convient", annonce l'entraîneur des « Rouge et Bleu » parfaitement placé pour savoir de quoi il parle. "Pour se sentir bien, il ne faut pas que les joueurs soient renfermés dans un cadre trop strict sinon ils ont l'impression de ne pas avoir d'oxygène. Je suis le premier à leur dire : « Allez boire un verre ». C'est important et en plus, c'est dans ces moments que des choses se créent entre eux". D'ailleurs, peut-être que la formidable dynamique caennaise puise ses origines au cours d'une soirée dans un bar de Deauville, durant le stage début janvier.