Le début de carrière de Jessy Deminguet coïncide avec l’ère malherbiste la plus mouvementée et la plus difficile de son histoire moderne en terme de performance et de gouvernance. Depuis ses débuts chez les professionnels, le 24 octobre 2017, le Normand a déjà connu pas moins de cinq entraîneurs différents (Patrice Garande, Fabien Mercadal, Rolland Courbis, Rui Almeida et Pascal Dupraz). En janvier dernier, au moment de disputer sa 50e rencontre en championnat, le n°8 des « Rouge et Bleu » n’avait connu le succès qu’à neuf reprises seulement.
Il dépasse régulièrement les 12 km par match
Le Lexovien connaît une post-formation tumultueuse où la victoire est aussi rare que les ballons dans les pieds. Une histoire avec le monde « pro » qui avait mal commencé avec cette « manita » infligée par les Marseillais un soir de novembre 2017 et une responsabilité engagée sur le troisième but encaissé (5-0). Thierry Henry affirmait récemment qu’après un match il existait deux possibilités : soit tu as gagné soit tu as appris. La première titularisation du milieu relayeur semblait pourtant être un cadeau empoisonné offert par Patrice Garande. Mais c’était, sans aucun doute, une étape indispensable pour son apprentissage, apprenant et s’adaptant aux difficiles joutes de Ligue 1 pour grignoter du temps de jeu à un poste peu évident de milieu gauche.
Pour sa première saison, Jessy Deminguet a aligné 12 apparitions dont cinq titularisations et un magnifique but un ciseau acrobatique inscrit face à Metz. Ce pur produit du centre de formation venait pour de bon d’entrer dans le cœur des supporters « Rouge et Bleu ». S'il a su aussi vite convaincre, c’est qu’il dispose de deux ingrédients très importants pour être professionnel dans les championnats français : une grande endurance et une très bonne technique pour tirer les coups de pieds arrêtés.
Disposant d’une grande VMA (Vitesse maximale aérobie), il n’est pas rare que Jessy Deminguet dépasse les 12 kilomètres parcourus au cours d'un match comme le dévoilait Pascal Dupraz récemment : "Les stats athlétiques sont franchement impressionnantes. Parfois, je me demande si le logiciel de Jean-Marc Branger (l'un des préparateurs physiques du SMC) fonctionne bien. Chaque week-end, il bat son record". Sur le terrain, le Lexovien est celui qui court le plus avec une vitesse moyenne la plus élevée. C’est un atout précieux dans le football moderne où vitesse et intensité prédominent.
Deux foulées, transmission d'énergie et cheville souple
Que ce soit les coups francs indirects, directs ou les corners, son habileté à bien tirer les coups de pied arrêtés constitue l’autre atout du jeune normand. Depuis de nombreux mois, les Caennais forcent la décision sur des phases de jeu arrêtées et non dans le jeu et c’est grâce, principalement, à la patte gauche de leur n°8. Déjà décrite dans ces colonnes il y a quelques mois, sa faculté à viser la même zone sur corner sans déchet est impressionnante. On se s’attarde pas suffisamment sur la gestuelle des tireurs. Aucune n’est identique. Pour Jessy Deminguet, l’approche du ballon est très courte puisqu’il va privilégier la précision de la frappe à la puissance.
Sa prise d’élan se fait en deux foulées avec un ajustement sur la première afin de préparer son mouvement de tir. Sur la deuxième, la mise en tension est dynamique avec une forte poussée et de la vitesse comme s’il sautait sur le ballon. Une grande pression est transmise au pied d’appui avec un tronc incliné vers l’avant, qui va se rééquilibrer rapidement dès que le pied d’appui se rapproche du ballon. Son tronc est aussi incliné vers la droite pour une approche du ballon optimum afin de lui conférer une trajectoire rentrante et brossé. La jambe d’appui est légèrement fléchie et la cheville verrouillée. La jambe de frappe s’arme avec un tronc incliné désormais vers l’arrière.
Cette mise en route permet une transmission certaine d’énergie à la jambe de frappe au moment de l’impact. Contre Lorient en début de saison (J2. défaite 2-1 le 5 août), la finition de sa frappe victorieuse sur coup franc direct est particulière, car il ne va pas fermer la hanche de sa jambe de frappe. Celle-ci reste ouverte avec une très grande souplesse de la cheville gauche. La jambe de frappe n’est pas tendue et le temps est comme suspendu avec ses membres supérieurs qui lui permettent de tenir cette position. Son regard est fixé sur la cible ; il s’assure que la qualité de sa frappe est bonne et que le dosage est le bon. L’effet Magnus fait le reste.
Une volonté d'allonger le temps de possession
Jessy Deminguet sait donc courir longtemps et frapper de bons coups de pied arrêtés. Cela suffit à faire de lui un bon joueur de Ligue 2, assurément. Mais on aimerait tous qu’il soit plus que cela, qu’il exploite tout son potentiel, et qu’il ne se contente pas du minimum. Aujourd'hui, le projet de jeu des hommes de Pascal Dupraz fait la part belle aux transitions avec des attaques rapides et peu de jeu de conservation, or le Normand est un joueur qui aime toucher le ballon. Il apprécie les redoublements de passes à la différence de ses partenaires du milieu tels Jessy Pi ou Anthony Gonçalves. Contrairement à eux, il ne se tourne pas automatiquement vers l’avant pour chercher la passe létale coûte que coûte. A l’inverse, le Lexovien va souvent faire preuve de patience. Il est l’un des rares caennais à vouloir allonger le temps de possession. Il privilégie souvent le choix le moins risqué par la passe avec peu de touches de balles.
Sa zone de confort est à 40-50 mètres des buts. Jessy Deminguet n’est pas un joueur de déséquilibre. Il réalise ainsi peu de passe dans le dernier tiers adverse : 4,2 par match. Il est un milieu relayeur, celui qui fait le lien entre la défense et l’attaque grâce à sa polyvalence et son énergie. Ce n’est pas un n°10 malgré plusieurs tentatives dans un système en 4-2-3-1. C’est à se demander ce qu'il donnerait dans un autre contexte, dans un projet de jeu axé sur la possession, lui qui s’évertue à faire vivre le ballon. Ainsi, il ne souhaite jamais enfermer le circuit de passes vers une impasse. C’est pourquoi il s’interdit de réaliser une transmission vers un coéquipier isolé. Il cherchera toujours une zone de terrain plus dense. Avec plus de neuf passes vers l’arrière par match, il est un des milieux de L2 qui en réalise le plus.
Oui, le jeune normand dénote par rapport à ses compères du milieu notamment par sa faible contribution défensive. Jessy Deminguet est en retrait sur quasiment tous les indicateurs (voir graphique), notamment au moment de gagner ses duels défensifs avec un taux de réussite de seulement 50,3%. A titre de comparaison, Prince Oniangué en gagne 68,4%, le n°1 de Ligue 2. Par un style de jeu et des points forts différents de ses collègues, Jessy Deminguet est pourtant indispensable. Aux autres, la prise de risque et l’engagement, à lui la temporisation et la fluidité. Il régule et apporte un équilibre au Stade Malherbe. Il est le chaînon manquant, celui qui nous apporte de la sérénité et des ballons dans les pieds.