Des torrents d'encre et des flots de paroles se sont déversés ces deux dernières semaines pour tenter de mettre au ban la 104e édition de la Coupe de France dont la reprise a réjoui autant qu'elle a exaspéré. Au final, les apparences donnent pari gagné aux organisateurs puisque la grande majorité des matches se sont plutôt bien déroulés partout dans l'Hexagone. La première raison est toute simple : le football manquait tout simplement trop aux milliers d'acteurs amateurs du ballon rond concernés par ce week-end de sport. "On était contents de retrouver les plaisirs d'un match de foot même si le contexte était un peu particulier", abonde Romain Hengbart, entraîneur d'une équipe de Falaise victorieuse à Ouest-Cotentin (1-0) à l'occasion d'un duel 100% Régional 2 dimanche. "Il y avait beaucoup d'organisation et de protocoles inhabituels à avoir mais au final, on a essayé de faire abstraction de tout ça". Il apparaît que pendant 90', parfois plus, les tracas contextuels se sont évaporés pour laisser place à celle qu'on croyait perdue pour cette saison : la fameuse magie de la Coupe.
Elément historique du club car présent dans l'institution falaisienne depuis ses sept ans, Stefan Krasnici (25 ans) aura été l'unique buteur d'un « combat » âprement disputé. Lui aussi, malgré la période, ne boudait pas son plaisir au sortir d'un match où il aura été l'un des héros à part entière. "Depuis le temps qu'on n'avait pas joué et avec le peu de prépa qu'on avait eu ces derniers jours, quand j'ai vu le ballon arriver, je me suis dit : « Ça peut être le but de la qualification » et j'ai repris de volée. J'ai pensé à tous les bénévoles, à tous les supporters". Les restrictions, les contraintes, tout s'est envolé l'espace d'un instant.
Au sortir de ce retour express sur les terrains, s'il est certainement plus aisé pour l'ESFC Falaise de garder un souvenir édulcoré du 6e tour que pour les vaincus, l'US Ouest-Cotentin ne regrette pas ce bref retour au pain quotidien. "On n'a pas de regrets à avoir, on a fait ce qu'on voulait faire, on a eu de belles équipes, un bon match", glissait après coup le coach Anthony Prunier (voir ci-dessous), satisfait et fier de ses joueurs. La sortie par la grande porte sera au final peut-être plus simple à digérer que si elle avait été promulguée sur un petit bout de papier à Paris, sans possibilité de se battre sur le terrain. "Le match s'est joué à quelques détails, il y a eu beaucoup d'impact", note l'arrière-gauche manchois Cédric Nicolas, proche du « sommet » de sa carrière dimanche. "La Coupe de France fait toujours partie des meilleurs souvenirs. On est éliminés mais on est contents d'avoir joué. C'est juste la manière qui a été difficile. Disons qu'il aurait fallu trois semaines pour se préparer..."
Si les corps ont tenu, c'est parce que les têtes ont fait le travail
Avant ce 6e tour, c'est essentiellement le manque de rythme et la crainte de ne pas voir de jeu qui cristallisaient toutes les interrogations. Alors, a-t-on eu des bons matches en Normandie ce week-end ? "C'est dur de dire si on a pris du plaisir", expose Romain Hengbart qui a sacrifié sa voix pour mobiliser ses joueurs du début à la fin. "Le plaisir, je pense qu'on l'a ressenti à travers la victoire et la joie de se qualifier. En termes de jeu, soyons honnêtes, on savait très bien qu'avec seulement cinq séances d'entraînement, après avoir coupé pendant trois mois, on n'allait pas être capables d'en produire énormément, en plus sur un terrain difficile face à une belle équipe d'Ouest-Cotentin". Le jeu, il est donc apparu secondaire. Ce n'est d'ailleurs que très rarement lui qui a le dernier mot lors de ces tours de coupe préliminaires. L'ingrédient principal vient souvent de la tête. "J'ai été surpris par mes coéquipiers", confie ainsi Stefan Krasnici qui s'attendait à voir son équipe souffrir physiquement. "C'est le mental qui a fait la différence !"
Stefan Krasnici
La FFF avait décrété qu'il n'y aurait pas de prolongation mais directement des tirs au but en cas d'égalité. L'idée était de ne pas faire souffrir les organismes plus que de raison. Si la Normandie n'a été le théâtre d'aucune séance fatidique, il apparaît que bien des équipes ont su tenir le choc dans leurs efforts, Evreux résistant à Avranches 70', Val-de-Reuil menaçant bien souvent l'AG Caen et s'offrant même le luxe de sauver l'honneur. "Beaucoup avaient des crampes en fin de match", observe Cédric Nicolas. "C'est l'envie de se donner et de se surpasser qui a primé".
À l'arrivée, l'histoire de ce 6e tour normand ne fut bien sûr pas toute rose mais l'essentiel a été sauvé. On regrette forcément le forfait auquel ont dû se résoudre les Flériens contre le FC Rouen autant qu'on aurait aimé, évidemment, voir un plus petit effacer un gros. Falaise pour sa part regrettera fatalement la blessure de son excentré droit Achraf Echelloukhi, d'ores et déjà forfait pour aller à Gonfreville dimanche (13 heures). Etait-ce sa condition physique trop précaire ou les aléas classiques du sport ? On ne le saura sans doute jamais. Il reste que pendant 90', tous les terrains où se jouait la « Vieille Dame » ce week-end auront retrouvé l'étincelle. "Beaucoup de gens nous ont suivis, c'est quand même sympathique, on a ressenti de la ferveur", se réjouit Romain Hengbart. "Cette qualification met un gros coup de boost mais on est surtout déjà pressés d'aller à Gonfreville dimanche", lance pour sa part Stefan Krasnici. À voir l'émulation sur les réseaux sociaux autour de ces rendez-vous et notamment de ce Ouest-Cotentin - Falaise, on est prêt à parier que les suiveurs des deux clubs ont eux aussi connu de belles émotions, même à distance. Une magie propre à la coupe que même une pandémie mondiale ne saurait annihiler.
Retour au pain quotidien pour l'US Ouest-Cotentin
S'ils ont vécu des émotions spéciales et rendu hommage à leurs supporters et bénévoles, les joueurs des Pieux vont désormais vivre les mêmes frustrations que Gisors, Saint-Lô, Val-de-Reuil, Pavilly, Evreux et tant d'autres. La très courte parenthèse enchantée de la Coupe de France est refermée et le droit de s'entraîner un tant soit peu « normalement » s'est évanoui avec elle. "C'est dommage", expose Cédric Nicolas. "Le plus difficile, c'est de ne pas savoir quand on va reprendre derrière ni si on le pourra. Comme on le faisait depuis la fin du confinement, on va se retrouver le samedi car c'est le seul moment de la semaine où il est possible de le faire". Cependant, les joueurs de l'US Ouest-Cotentin n'auront pas le droit de s'adonner à des contacts ni de s'offrir des séances basées sur le jeu. Une bien drôle de conclusion de ces 14 jours qui resteront à jamais hors du commun.
Aurélien RENAULT