Plus de vestiaires ni de douches
Des joueurs qui enfilent leur tenue dans les tribunes, des équipes qui restent sur le terrain à la pause, des visiteurs qui repartent chez eux sans prendre de douche... Privés de leurs vestiaires sur décision du Préfet dans le cadre des mesures pour lutter contre la pandémie de la Covid-19, les clubs calvadosiens usent depuis quelques semaines du système D afin de disputer dans les moins mauvaises conditions possibles leurs rencontres. "Ça bricole un peu", reconnaît Thierry Deslandes, le président de la Mos (R1). Une situation loin d'être évidente surtout avec la météo qui a sévi ces derniers jours sur la région caennaise. "Quand il va faire deux degrés et qu'il va tomber des cordes, on va laisser les garçons dehors pendant toute la mi-temps ?", s'interroge Christophe Lécuyer, son homologue de Vire (N3).
Certains footballeurs du dimanche (au sens propre du terme) qui sont rentrés chez eux trempés jusqu'aux os possèdent un début de réponse. Et on vous laisse imaginer le trajet retour de ceux qui avaient une heure voire plus pour regagner leur domicile. "Je ne suis ni médecin ni spécialiste mais je ne suis pas sûr que de se changer dans des mini-bus, avant et après les matches, où la promiscuité est plus importante que dans un vestiaire, soit très hygiénique". Frappés par cette deuxième vague de la Covid-19 à différents niveaux, les départements normands, aujourd'hui, ne sont pas logés à la même enseigne ; ce qui donne lieu à des inégalités dans l'accès aux infrastructures.
"Pour des raisons sanitaires, toute la semaine, mes gars n'auront pas le droit aux vestiaires ni aux douches alors qu'à Saint-Lô le week-end prochain, ils pourront les utiliser. Pourtant, c'est le même groupe, les mêmes joueurs", s'étonne le président virois mettant en avant l'absurdité de cette situation. Le samedi suivant, bis repetita mais dans le sens inverse avec la réception d'Alençon. De là à en déduire que ce coronavirus est moins virulent dans la Manche et dans l'Orne, il n'y a qu'un pas... Bien que non directement impactés, les clubs de ces deux districts subissent, eux aussi, les conséquences de ces mesures restrictives, principalement la mise en place d'un couvre-feu à 21 heures dans le Calvados et la Seine-Maritime. Exemple avec Flers (R1). "J'ai une demi-douzaine de joueurs (dont trois titulaires potentiels) qui habitent sur Caen. Ils ne peuvent plus venir s'entraîner à Flers", expose le coach Tony Rouillon. Plutôt fâcheux à quelques jours de défier le FC Rouen en Coupe de France.
"Il ne faut pas négliger l'aspect social du sport dans notre société"
Depuis le début de cette crise sanitaire au printemps, le mouvement sportif français dont le football ne se sent guère considéré. Pourtant, comme le rappelle Thierry Deslandes, le président de La MOS (R1) : "Il est d'utilité publique", notamment en termes de santé. C'est là que se trouve tout le paradoxe puisque l'activité physique dans les clubs est fortement perturbée afin de limiter les mouvements de population favorisant la propagation de la Covid-19. Sans parler, que ce soit dans les zones rurales ou urbaines, de son rôle social dans l'intégration, l'éducation et le développement personnel de milliers de jeunes. Si les clubs sont à l'arrêt, qui va prendre le relai ?
Tant que le gouvernement l'y autorise, la FFF veut continuer
Une différence de traitement entre secteurs géographiques qui se matérialise également pour les buvettes et la restauration, proscrites dans le Calvados mais autorisées chez ses deux voisins. "Il y a une iniquité économique entre les clubs en fonction de là où ils se situent géographiquement", pointe Christophe Lécuyer. "Le problème, c'est le manque d'uniformité dans les règles". L'interdiction d'utiliser ces infrastructures soulève aussi des questions de sécurité. "Lorsqu'on est confrontés à des faits de violence, on peut encore assurer la sécurité des acteurs (dont les arbitres) quand on a les vestiaires à disposition mais là...", souligne Thierry Deslandes. Conséquence, pour Christophe Lécuyer : "On est arrivés aux limites de ce qui est conciliable pour la pratique d'un sport collectif". "Pour un ou deux week-ends, on peut faire les efforts. Mais si la situation perdure pendant des mois, ce n'est pas tenable", corrobore le président de la MOS qui craint "de perdre des gens en cours de route".
Pour son homologue du bocage, le ballon rond dans ces conditions n'a, de toute façon, pas la même saveur. "Avec la fermeture des clubs house, on a perdu tous ces instants de convivialité qu'on partage avec les bénévoles, les joueurs, les dirigeants... Le foot, comme d'autres disciplines, c'est avant tout un moment d'évasion". Actuellement, pour ces présidents, la notion de plaisir disparaît petit à petit ; la gestion quotidienne de leurs clubs s'apparente à un véritable casse-tête, de plus en plus usant psychologiquement. "Tous les jours, je dois prévenir des joueurs qu'ils vont être placés en isolement car ce sont des cas contacts", explique Christophe Lécuyer.
Dès lors et malgré une volonté affirmée des différents acteurs de continuer à jouer en dépit de tous ces obstacles, il semble quasi-impossible d'éviter la suspension des compétitions. En cas d'arrêt provisoire, reste à savoir d'ici combien de temps une activité à peu près normale pourrait reprendre ? Pour le moment, et contrairement aux fédérations des sports de salle (basket, handball, volley) ainsi qu'à celle de rugby qui devrait officialiser sa décision ce mardi, la FFF maintient la poursuite de la pratique du football tant que le gouvernement l'y autorise. Une question de jours peut-être. D'ici la fin de la semaine, l'Etat pourrait annoncer de nouvelles mesures restrictives (reconfinement localisé et/ou le week-end, couvre-feu avancé...) synonyme de fin du bal pour les championnats amateurs.
Une catastrophe économique en perspective
La suspension pour une durée indéterminée des championnats amateurs aurait de sérieuses répercussions sur la santé financière des clubs, déjà mise à mal par la première vague de la Covid-19 au printemps. "Si l'arrêt des compétitions est trop long, c'est le modèle économique des clubs qui sera remis en question", ne passe pas par quatre chemins Thierry Deslandes, le président de La MOS (R1). Privées de la majeure partie de leurs sources de revenus (buvettes, restauration, organisation de tournois, de vide-greniers, de lotos...), ces associations sportives avaient limité la casse lors de l'exercice précédent.
"Mais quand tout avait été stoppé en mars, on avait encaissé entre 50 et 70% de nos partenaires", rappelle Christophe Lécuyer, le président de l'AF Virois (N3). "Aujourd'hui, on en a juste touché 10-20%". Elles aussi fortement impactées économiquement par cette crise sanitaire, les dizaines d'entreprises qui contribuent à faire vivre les clubs auront toutes les peines du monde à tenir leurs engagements. "Malgré le contexte, la saison passée, nos partenaires ont continué de nous accompagner. Ils ne le pourront certainement pas une deuxième fois". Idem pour les collectivités publiques qui avaient consenti un effort important cet été. Et les aides accordées par la FFF, les ligues et les districts avec notamment un crédit de 10 € par licencié pour chaque club amateur (sur leur compte spécifique) ne suffiront pas. Loin de là. "Comme dans de nombreux autres secteurs, le football aura du mal à s'en relever", prévient Christophe Lécuyer.