Samedi soir, Philippe Clément va vivre un événement on ne peut plus singulier à la tête du SU Dives-Cabourg. Contre l'AS Chatou, il prendra tout simplement place sur le banc du club de la Côte Fleurie pour la 1 000e fois de son illustre carrière. C'est nettement plus que l'ensemble des autres entraîneurs normands de National 3 réunis. Véritable OVNI du football amateur français, romantique de sa discipline comme on n'en fera sans doute plus, le technicien et son inimitable voix rauque sont indissociables du paysage sportif régional. En 31 ans de carrière de coach, avec une moyenne supérieure à 32 matches disputés par saison, Philippe Clément a vécu des moments mémorables, d'autres plus bouleversants, et celui qui les raconte mieux, c'est évidemment celui qui rentrera ce week-end dans un club des 1 000 où ils seront peu nombreux à venir le bousculer.
Son premier match
"Je n'avais pas de paperboard, juste une feuille que j'avais préparée"
Il a beau remonter à l'année 1994, le premier match de Philippe Clément à la tête du SU Dives, auquel l'appellation Cabourg n'avait pas encore été accolée, est toujours aussi prégnant dans son esprit. L'histoire a ainsi commencé alors que le club de La Côte Fleurie évoluait au sein de l'ancienne Promotion d'Honneur (PH), l'actuel Régional 3, contre l'équipe réserve de Bourguébus. Philippe Clément, lui, officiait comme entraîneur-joueur. "On est menés 2-0 et on fait 2-2 avec un doublé de Régis Petit", se souvient parfaitement le coach.
"Régis a donc annoncé la couleur, comme quoi il faisait partie des débuts de l'histoire du club, parce que s'il y a bien un mec qui m'a aidé à franchir les étapes, c'est lui. On est partis ensemble de PH à DHR (R2) puis en DH (R1) et en CFA2 (N3). Après, il est même resté au club pour faire monter la « B » jusqu'en DH (...) Ce premier match, je m'en rappellerai toute ma vie, je me souviens même de l'endroit où j'avais mis ma feuille dans le vestiaire ; oui, je n'avais pas de paperboard, juste une feuille que j'avais préparée. Je pense que le fait d'avoir un résultat positif ce jour-là a été important. Derrière, en Coupe de France, on a d'ailleurs gagné 2-1 contre la PHR de Falaise avec une équipe hétérogène".
Le match qu'il aimerait revivre
"Rendre des gens heureux : la plus belle des récompenses"
En 999 rencontres passées sur le banc du SU Dives-Cabourg, Philippe Clément a forcément vécu d'incroyables moments, des matchs renversants et l'exercice qui consiste à n'en retenir qu'un n'est clairement pas le plus évident. Pour autant, s'il lui fallait n'en revivre qu'un seul, ce serait finalement le duel de légende contre la GSI Pontivy, pensionnaire de quatrième division, en 1/64e de finale de Coupe de France, lors de la saison 1998-1999. "On marque à la 120' et on bat cette équipe de Pontivy qui était premières de CFA avec (Christophe) Duboscq (aujourd'hui, à la tête de la réserve du SUDC) et Cyrille Watier devant", expose un Philippe Clément qui ne semble toujours pas s'en remettre, même 26 ans plus tard. "Notre adversaire avait une équipe hors du commun par rapport à nous, qui étions en DH donc ça paraît irréalisable, surtout qu'on prend un but au bout de dix minutes".
"Régis Petit met un centre-tir qui va se loger sous la barre et c'est vrai que jusqu'à ce jour-là, je n'avais jamais entendu autant de bruit à Heurtematte donc c'est pour ça que je vais garder ce match-là. Ce jour-là, j'ai vu des gens pleurer, des jeunes, des anciens et ça, je crois que c'est la plus belle récompense pour un joueur comme pour un entraîneur : rendre les gens heureux, et je crois que ça a vraiment été le déclencheur de plein de bonnes choses derrière..." Philippe Clément a pleuré deux fois dans sa vie : à la naissance de son premier enfant et lors de cette qualification pour les 1/32es de finale de la Coupe de France (pas la dernière). "Je me rappelle encore que je suis seul à ne pas fêter le but avec les joueurs parce que je suis complètement assommé, c'était la folie, ce n'était forcément jamais arrivé et, à l'époque, c'était quand même assez rare que des DH créent des exploits. Donc là, j'ai eu les larmes qui ont coulé, ça n'a pas duré longtemps, mais j'écoutais le public et ça a été des émotions exceptionnelles ce jour-là !"

Philippe Clément, ivre de bonheur, sur la pelouse d'Heurtematte, après la qualification du SU Dives-Cabourg pour les 1/8e de finale de la Coupe de France. ©Damien Deslandes
Le match le plus fou qu'il ait vécu sur le banc
"On était prêts à donner notre vie pour se sauver"
Philippe Clément a forcément vécu des rencontres hors du commun et des déplacements rocambolesques. Si le récent périple jusqu'à Cannes est forcément en bonne place dans le classement, l'emblématique coach divais a cependant choisi de citer la folle issue de la saison 2008-2009 qui a vu son équipe arracher son maintien au niveau fédéral de manière miraculeuse. "On avait une vraie belle équipe en CFA 2 mais à l'époque, il y avait 16 équipes (par poule) avec quatre ou cinq descentes (en raison de relégations administratives), c'était un vrai périple aussi, surtout dans le groupe Bretagne qui était très bon", raconte le technicien. "Sur les cinq derniers matchs, il fallait qu'on en gagne quatre et qu'on fasse un nul si on voulait avoir une chance de se sauver et les mecs l'ont fait de façon complètement héroïque puisqu'on a dû jouer un samedi, un mercredi et un samedi, et avec des scénarios de dingue".
Celui qu'il retient, c'est principalement la réception de la réserve du Stade Lavallois à Heurtematte. Menés 3-1 et dos au mur, les Divais d'un Mehdi Difallah survolté sont finalement parvenus à tout renverser et à s'imposer 4-3, dans une semaine où ils avaient également pris le meilleur sur la « B » lorientaise (3-2 après avoir été menés 2-0). "On était prêts à donner notre vie pour se sauver, on savait qu'on avait l'obligation de gagner. Je me suis dit que ce stade était magique et que nos messages et notre ADN passaient bien". En allant décrocher un maximum de points, bien que figurant dans la zone rouge à l'arrivée en tant que premier relégable, le SUDC avait gagné le droit d'être repêché eu égard aux relégations administratives de cette saison pas comme les autres.
Son premier match aux côtés de Julien Le Pen
"On s'est vraiment bien trouvés tous les deux"
Depuis l'automne 2022, Philippe Clément n'est plus la seule figure sur le banc du SU Dives-Cabourg puisque le technicien a trouvé en Julien Le Pen un fidèle lieutenant, capable de le seconder - et même plus que ça - dans un rôle d'entraîneur-adjoint particulièrement impliqué. Le premier rendez-vous de la paire, après un bref passage de Matthieu Chevreau au sein du club, a donc marqué un tournant dont le coach aux 999 matchs se souvient, là encore, parfaitement. "Je m'en rappelle très bien parce que le premier match qu'il vit avec nous, c'est à... l'Avant-Garde. Le club l'avait viré six mois avant, donc c'est forcément un moment très particulier".
Ce jour-là, le SU Dives-Cabourg avait concédé un lourd revers 3-0 contre une équipe qui allait finir deuxième du championnat, mais l'essentiel dans le duo que forment Philippe Clément et Julien Le Pen, c'est évidemment les nombreux rendez-vous qui ont suivi cette entame manquée. "Le premier match que j'ai vécu, c'est celui-là, ce n'était pas un bon souvenir. Mais bon, on en a vécu tellement de bons après que ça gomme le premier". Avant de vivre sa 1 000e aux côtés de Julien Le Pen, Philippe Clément salue d'ailleurs son fidèle associé : "On s'est vraiment bien trouvés tous les deux, chacun dans nos fonctions. Vu que c'est un garçon intelligent, il a compris qu'il allait faire tout ce que je n'avais plus envie de faire".
Julien Le Pen et Philippe Clément réunis dans le bureau du second au Stade Heurtematte. ©Damien Deslandes
Le match qui lui laisse le plus de regrets
"J'avais eu l'impression de ne pas pouvoir me battre avec toutes armes"
Des joies, Philippe Clément en a connues. Des peines aussi, notamment parce qu'il a dû assister depuis son banc de touche à deux graves blessures de son fils Mathis. Dans le domaine purement sportif, le plus gros regret du coach avec son collectif, ce n'est finalement pas un match, mais une saison toute entière, en l'occurrence l'exercice 2010-2011. "C'est l'année où on descend après avoir passé neuf saisons en CFA 2", rembobine l'entraîneur qui avait vu des éléments importants comme Benjamin Morel quitter le club et des joueurs cadres comme Guillaume Esneu se blesser sur du long terme cette saison-là. "Ça m'avait frustré parce que j'avais eu l'impression de ne pas pouvoir me battre avec toutes mes armes". Au plus grand bonheur du coach, le SUD, bientôt rebaptisé SU Dives-Cabourg, a toutefois eu l'occasion de vite revenir au cinquième échelon français où il évoluera d'ailleurs encore lors de l'exercice 2025-2026.
Son 1 000e match sur le banc
"Ma fierté, c'est d'avoir eu des gens solidaires, du début à la fin"
La 900e avait déjà été très émouvante pour Philippe Clément, alors qu'en sera-t-il pour la 1 000e ? Depuis quelques jours, le club a créé l'événement autour de la réception de l'AS Chatou et de cette étape ô combien symbolique. Le coach en a sans doute conscience : samedi soir, il devrait recevoir une des plus belles ovations de sa carrière à Heurtematte et en guise d'accompagnement, une vague de messages emplis de sympathie.
"La 1 000e ? En fait, ma fierté, c'est d'avoir eu des gens solidaires, du début à la fin. J'adore les gens qui m'accompagnent, j'adore tout ce que j'ai vécu depuis 31 ans maintenant", assure Philippe Clément. "On va en 1/8e de finale de la Coupe de France, on se maintient à trois matchs de la fin. C'est incroyable que les joueurs et le club aient pu m'offrir ça, justement pour cette symbolique de millième. D'avoir vécu la saison qu'on a vécue, en termes d'émotions, c'est quand même très fort. En plus, j'ai la chance d'avoir des mecs géniaux. Donc, c'est forcément plus facile à partager avec des mecs bien. Et puis, ça permet de mettre en avant le club, parce qu'à l'arrivée, c'est ça qui est réellement important".
> N3. J24 - SU Dives-Cabourg (7e - 34 points) / AS Chatou (11e - 23 points), samedi 26 avril à 18 heures au Stade André-Heurtematte.
Philippe Clément lors d'un entretien accordé à notre rédaction aux côtés de son ami Vincent Laigneau. ©Damien Deslandes