En septembre 2023, la FFF annonçait la création de la toute première équipe de France féminine de futsal de son histoire. 26 ans après la naissance de son homologue masculine. Ce chiffre pourrait paraître anecdotique mais l'instance a véritablement tardé à valoriser cette pratique. C'est grâce à un plan de développement ambitieux dévoilé par Philippe Diallo, accordant 20 M€ d'investissement pour le futsal, que cette sélection nationale a vu le jour. Dans les régions, comme en Normandie, l'arrivée de ces Bleues du futsal a été largement appréciée. "Les filles étaient ravies. Cela permet de récompenser leurs efforts. Certaines ont même réussi à intégrer cette équipe de France", se réjouit Anthony Cordoba, l'entraîneur d'Hercules futsal, le club phare de notre territoire.
Booster le développement du futsal en France, voilà l'ambition de la FFF. Si le nombre de licenciées en football est en constante progression (avec un record établi à 247 000 licences féminines en août 2024), les chiffres des pratiquantes pour le futsal prouvent aussi que cette discipline « jeune » a toute sa place dans l'univers fédéral. Regardons dans le détail. En 2020, année marquée par la crise sanitaire de la Covid-19, 1 615 femmes détenaient une licence spécifique. Elles étaient 4 982 lors de l'exercice 2023-2024 et 5 570 cette saison, soit un nombre multiplié par trois en l'espace de quatre ans.
"On est retard sur d'autres régions. En Ile-de-France, il y a déjà une vingtaine de clubs féminins"
Anthony Cordoba
Alors que des mastodontes comme les ligues d'Ile-de-France, des Hauts-de-France ou du Rhône-Alpes dopent ces statistiques, il est vrai que la répartition n'est pas homogène sur le territoire national. Prenons l'exemple de notre région. Pour la saison en cours (2024-2025), seulement 70 joueuses ont une licence spécifique futsal, dont 49 seniors, essentiellement réparties dans cinq clubs : Hercules Futsal Club (Eure), Caen Futsal Club (Calvados), Lisieux Club Futsal (Calvados), AS Evreux Futsal (Eure) et Hérouville Futsal (Calvados) en loisir. "On est en retard sur d'autres régions", admet Anthony Cordoba, cette fois-ci avec sa casquette d'agent de développement à la Ligue de Normandie (LFN). "En Ile-de-France par exemple, il y a déjà une vingtaine de clubs féminins chez les seniors qui évoluent en championnat".
A l'image de Fanny Gosseye, capitaine d'Hercules, certaines joueuses ont pu goûter à l'équipe de France de futsal, nouvellement créée.
Un manque criant de compétitions
Un train de retard que constate également Clément Lerebours, le « Monsieur » futsal dans la région. Sélectionneur de l'équipe de France U19 chez les garçons, il est le référent pour cette pratique au sein de la Ligue de Normandie depuis 2010. "On en est aux premiers balbutiements. Le développement du futsal en Normandie est trop faible par rapport à ce que l'on souhaiterait et à la volonté de la Fédération", explique-t-il, tout en comparant à ce qui se fait en Corse ou en Nouvelle-Aquitaine. "Malheureusement, on a trop peu de pratiquantes qui ne font que du futsal. Ce qui fonctionne, c'est le futsal associé, où les clubs de foot en herbe engagent une équipe futsal pendant la période hivernale". Hommes et femmes confondus, la Normandie ne compte que 17 clubs estampillés futsal. Les autres pratiquants ont une double licence futsal-foot en herbe.
"Il ne faut pas rater le wagon comme on a pu le faire chez les garçons"
Clément Lerebours
Et pourtant, la demande explose. Notamment chez les jeunes. Le constat est notamment visible à l'UNSS, où les collégiennes et lycéennes remplissent les gymnases pour jouer au futsal. Au niveau national, on parle du sport n°1 chez les jeunes femmes avec 150 000 pratiquantes, séduite par cette activité ludique, qui se joue dans des petits espaces. En Normandie, il revient à la Ligue d'être prête à surfer sur cette bonne dynamique. "Il ne faut pas rater le wagon comme on a pu le faire chez les garçons. On a fait beaucoup de pratiques complémentaires ou associées, sans prendre en compte la pratique spécifique futsal. Chez les filles, trouvons une passerelle pour qu'elles jouent dans les clubs", poursuit Clément Lerebours.
Les clubs ne demandent que ça. Gonfler les effectifs et voir de nouvelles équipes afin qu'un championnat se crée. Car si la France est le seul pays à avoir lancé son équipe nationale avant même de s'appuyer sur un championnat national, la Ligue de Normandie n'est pas plus exemplaire. Il n'existe pas de championnat régional féminin. Pour le Caen futsal Club, qui a lancé sa section féminine en mars 2024, la frustration prédomine. "C'est dommage car quand on fait du football, même pour le loisir, on aime la compétition. Là, il n'y a pas d'enjeu", regrette la coach Anaïs Patte (28 ans). "C'est aussi un problème pour le recrutement". La technicienne s'affaire alors à trouver des solutions afin de garder son effectif motivé à s'entraîner une fois par semaine. "Il faut trouver des matchs amicaux. Jusqu'à décembre, c'est plus facile car les équipes en herbe ont des trous dans leur calendrier et préparent le Challenge du district. Mais le reste de l'année, c'est le néant. Réussir à garder les filles la saison suivante, c'est un challenge". Dans son effectif comprenant dix joueuses, l'éducatrice compte uniquement d'anciennes joueuses de foot en herbe dont Léa Kergal ou encore Romane Philippe, des ex du Stade Malherbe.
Quentin Delamare, responsable de la section féminine du Lisieux Club Futsal depuis le mois de septembre, estime qu'il y a déjà suffisamment d'équipes en Normandie pour créer un championnat spécifique.
La question de la création d'un championnat régional
Du côté de Lisieux, on se creuse également les méninges pour garder un aspect compétitif à la pratique. Parfois, cela nécessite de rouler quelques kilomètres. "Hormis Hercules qui est plus fort que nous, les matchs ici se terminent souvent sur des scores fleuves. Alors, on n'a pas le choix que d'aller sur Paris pour se challenger avec des matchs amicaux", souligne Quentin Delamare, entraîneur de la section féminine depuis le mois de septembre. "Le club trouve les moyens. On prend notre voiture et on divise les frais d'essence". Pour dénicher ces fameux matches, c'est un peu le jeu de la débrouille. Leur maigre consolation : le Criterium de l'Eure pour les clubs du département concernés et le Challenge futsal qui a lieu l'hiver, où les associations de foot en herbe peuvent s'inscrire.
Locomotive dans la région, Hercules Futsal, dont la section féminine existe depuis 2019, a quant à lui décider de se challenger avec les garçons afin de se frotter à un niveau supérieur. "On a été autorisé à participer à un Critérium départemental avec six équipes, sans classement. Par certains moments, on arrive à rivaliser face à eux. Cela a permis de relancer un dynamisme", analyse l'entraîneur Anthony Cordoba. "La compétition en Normandie ? Les filles n'attendent que ça. Aujourd'hui, elles sont prêtes à traverser la France pour jouer". Meilleur représentant féminin en Normandie, Hercules a échoué aux portes des quarts de finale de la Coupe nationale face à Rennes, le 1er mars, à l'issue d'une séance de tirs au but.
"Avec toutes ces équipes, on pourrait créer un championnat. Si elles ont participé, c'est qu'elles aiment le futsal"
Quentin Delamare
Mais alors, qu'est-ce qui cloche ? Selon Anthony Cordoba, pour que le futsal féminin continue d'exister dans la région, l'un des enjeux est de séduire les filles du foot à 11. "L'hiver, ça fonctionne. Mais est-ce que les filles qui jouent en herbe sont-elles prêtes à arrêter pour passer au futsal ? Je ne suis pas sûr". Il en revient à la responsabilité des instances (la Ligue et les Districts) de trouver la meilleure formule et de créer une dynamique locale. Le point de départ serait peut-être de s'appuyer sur la Coupe de futsal organisée sur deux week-ends, en hiver. Quentin Delamare, coach à Lisieux, ville où se situe le siège de la LFN, se montre très pragmatique. "Il y avait deux poules de quatre équipes. Avec toutes ces équipes, on pourrait créer un championnat. Si elles ont participé, c'est qu'elles aiment le futsal". Anthony Cordoba, du côté de l'Eure, demeure un peu plus mesuré. "Faire un championnat à trois équipes, ça ne sert à rien. Il faudrait rebondir sur les coupes et pourquoi pas lancer une phase d'engagement. On verra si les clubs répondent".
Meilleur représentant féminin en Normandie, le club d'Hercules, basé dans l'Eure, a atteint cette saison les quarts de finale de la Coupe nationale.
Démarcher l'Académie pour des créneaux dans les collèges et les lycées
La mission de la Ligue relève d'un véritable casse-tête. Faut-il attendre qu'il y ait plus d'équipes pour lancer un championnat ? Ou alors, faut-il créer un championnat pour donner envie à des clubs de s'y inscrire ? C'est un peu la théorie du serpent qui se mord la queue. Clément Lerebours a bien étudié le sujet. Selon lui, il faut sortir du modèle classique de compétition et inventer un nouveau concept. "Pour pérenniser le futsal féminin, il faut impulser une offre de pratique. Peut-être qu'il faut proposer aux clubs de foot à 11 de faire du futsal deux fois par mois en plus de l'herbe. Ou alors, lancer des plateaux à quatre et à mi-parcours, travailler sur une autre formule. C'est fini le temps des compétitions où on attend dix équipes avec une formule aller-retour", décrypte-t-il. Pour l'heure, tout cela reste de l'ordre de l'hypothèse.
"Vu la grandeur de la Normandie, c'est compliqué d'aller jouer un jeudi soir, à 19 heures, à Caen"
Anthony Cordoba
Les instances sont face à une autre réalité. Les principaux freins au développement du futsal féminin, ce ne sont pas tant les clubs ou le nombre de joueuses, mais plutôt les déplacements trop lointains et le déficit d'infrastructures. En raison de l'offre sportive très chargée chaque week-end dans les équipements sportifs (handball, basket, volley), le futsal peine à faire sa place. "Le manque de créneaux dans les gymnases nous pose vraiment problème", confirme Quentin Delamare, lui-même gardien de futsal à Lisieux. Il y a deux ans, la Ligue de Normandie avait entamé une démarche auprès de l'Académie pour faire connaître la discipline et espérer récupérer des créneaux dans les gymnases des collèges et lycées. "La porte d'entrée se trouve là. Il y a des gymnases qui ne sont pas utilisés le week-end. Il faut trouver une convention". Sans réponse, en vain.
A l'heure actuelle, se pose une autre problématique. Ne pas pouvoir jouer le week-end, faute de terrain disponible, nécessite d'organiser des matchs en semaine. Sauf que "ça pose des difficultés d'organisation. Vu la grandeur de la Normandie, c'est compliqué d'aller jouer un jeudi soir, à 19 heures, à Caen", soulève Anthony Cordoba. "Les régions où la compétition fonctionne, c'est celles où il y a de grosses agglomérations avec de la proximité géographique entre clubs". Vous l'aurez compris. En Normandie, l'envie de jouer au futsal est bien présente. Reste désormais à convaincre les élus et les instances décisionnelles. Cela ne semble être qu'une question de temps. Si l'on veut faire preuve d'optimisme, il se pourrait qu'un championnat régional féminin voit le jour lors de la saison 2027-2028.
Léa Quinio