Elles ont troqué un ballon pour un autre. Marion et Marlène Gaignon, respectivement âgées de 34 et 32 ans, ont écumé les terrains de hand. Figures du CL Colombelles, elles se sont battues pour maintenir ce club de l'agglomération caennaise en National 1 pendant plus de dix saisons. Après avoir mis un terme à leur carrière (en 2020 pour l'aînée, quatre ans plus tard pour la cadette), ces deux sœurs se sont lancées dans leur autre passion : le football ! Trouver un club pour les accueillir n'a pas été une étape difficile. "On est à Mézidon. C'est un club familial où l'on a joué quand on était petites. J'avais commencé en benjamine", rembobine Marion. "On a des copains d'école, des cousines et des amis dans ce club".
L'adresse était toute trouvée. Et pourtant, il n'a pas été si facile de tirer un trait sur le handball. En 2017, Marion Gaignon avait mis fin à sa carrière en raison d'une pubalgie et d'un projet bébé. Mais, rappelée par l'entraîneur de l'époque, Reynaldo Mazzoli, elle avait rechaussé les baskets un an plus tard pour une saison, avant de dire définitivement stop afin de "passer plus de temps" avec sa famille. Voilà 14 ans qu'elle défendait les couleurs « Jaune et Noir » à haut niveau. "Quand mon fils grandissait et que parfois je me disais : « J'ai la flemme », j'ai eu le déclic. Il fallait que j'arrête avant d'en être écœurée car je n'ai jamais vécu mon sport comme une contrainte".
"Quand mon fils grandissait et que parfois je me disais : « J'ai la flemme », j'ai eu le déclic"
Marlène Gaignon
La retraite handballistique de sa cadette s'est opérée plus tard. Stoppée par une blessure aux ligaments croisés d'un genou en 2017, Marlène avait retrouvé la Halle Michel-Hidalgo à Colombelles deux ans plus tard, et ce jusqu'en 2023. Mais en mars 2024, Reynaldo Mazzoli avait de nouveau contacté la fratrie Gaignon pour une opération maintien, in extremis. Ni une ni deux, la plus jeune de la famille Gaignon a renfilé le costume de pompier de service le temps de six mois, alors qu'elle avait déjà enregistré une licence de foot. "Ça m'avait fait du bien de revivre des matches aussi intenses mais il fallait que j'arrête avant de me voir régresser", explique la trentenaire. "Quand j'ai arrêté, il fallait absolument que je trouve un autre sport". Son dévolu s'est jeté sur le ballon rond, au pied cette fois-ci.
Fini la résine et l'hiver au chaud, place aux crampons et à la boue
Voir des sportifs changer de discipline reste rare. Les exemples français les plus connus sont ceux de Florent Manaudou, passé de la natation au handball, ou encore de Jean Galfione, de la perche à la course au large. Pour les sœurs Gaignon, le football a été une évidence. "C'est un sport co qui se joue avec une balle. Et même si ce n'est pas avec la main, on court après quelque chose", plaisante Marion, qui avait d'abord testé le badminton. Un sport trop individuel pour elle. Sa sœur cadette, déjà passionnée lors de ses premiers pas, a confirmé son intérêt pour le foot à la fac. Lorsqu'elle étudiait en STAPS, Marlène faisait partie de l'équipe universitaire.
"On a joué côte à côté pendant des années au hand. Il n'y a pas besoin de se parler, c'est un lien particulier"
Marion Gaignon
Alors à l'été 2024, lorsqu'il fallait choisir un club pour la rentrée sportive, la petite sœur a usé de son pouvoir de séduction pour motiver le duo. "Jouer avec elle me manquait, c'est sûr !", raconte Marlène avant que son aînée ne rétorque aussitôt : "On se fritte quand même hein". Fini la résine et l'hiver au chaud, place désormais aux crampons et la boue. "On a découvert ce que c'est d'avoir les pieds congelés. On est couvertes jusqu'au cou", rigolent-elles. A l'USC Mézidon, les deux sœurs, aussi complices que complémentaires se sont retrouvées "comme à la maison". Les premiers pas balle au pied n'avaient rien de catastrophiques hormis quelques mains incontrôlées. "Au départ, on tirait quand même du pointu", se marre Marion.
Hormis la surface de contact bien distincte, il existe de nombreuses similitudes entre le handball et le football, selon elles. Déjà, il s'agit d'un sport collectif. Un détail qui leur est cher. "Il y a des changements de statut entre la défense et l'attaque. Dans les déplacements et la lecture du jeu, il y a des choses qui se ressemblent", analyse Marlène Gaignon. "Notre avantage, c'est la vision du jeu et l'anticipation. On arrive souvent à intercepter le ballon en se plaçant sur les lignes de passes", ajoute sa grande sœur. Le gros du travail se concentre sur la technique et la maîtrise du contrôle-passe. Il en convient de se demander à quelle poste évoluent-elles ? A leur arrivée, l'entraîneur leur a posé la question. "Je n'en sais rien, là où je cours", a répondu Marion d'un tact fabuleux. L'aînée sera positionnée milieu axial. La cadette sur le côté gauche. L'une à proximité de l'autre donc. "On a joué côte à côte pendant des années au hand (la première était arrière, la seconde ailière). Il n'y a pas besoin de se parler, c'est un lien particulier", témoigne la plus âgée des deux. "Mais si une passe n'arrive pas au bon endroit, on s'engueule".
Une rencontre ne démarre jamais sans une bonne dose de Céline Dion
Impossible de leur ôter cette hargne de la victoire qui les caractérisait tant sur les terrains de hand. Bien qu'elles évoluent en inter-districts à Mézidon, la compétition est ancrée en elles. Marlène ne rate aucun entraînement ni aucun match. "Je suis mordue de compétition. Vivre des émotions en équipe, ça m'anime", assure-t-elle. Désormais maman de deux enfants, âgés de 7 ans et 21 mois, Marion assume ne pas prendre part à toutes les séances mais quand elle entre sur le rectangle vert, c'est une battante. "Je suis une guerrière, ça ne changera jamais". Cet état d'esprit semble s'être répandu sur le reste de l'équipe. Constituée de mamans, de débutantes, d’anciennes joueuses de D3 et de jeunes femmes, la mayonnaise a pris entre ces néo-footballeuses, ex-sportives de haut niveau, et l’ensemble du collectif. "On a gagné des matches car l'équipe ne lâche rien", se réjouit Marlène. Sa sœur aînée semble aussi avoir imposé sa patte dans les vestiaires. Comme à Colombelles, une rencontre ne démarre jamais sans une bonne dose de Céline Dion, sur des airs de « J'irais où tu iras » ou « Prière Païenne ». "Les anciennes ont validé mon choix. Les plus jeunes râlent mais elles ont fini par accepter", plaisante-t-elle.
Sur le terrain, les deux sœurs sont toujours là pour motiver les troupes. Solide défensivement, l'aînée est plutôt à la distribution du ballon. La cadette adore prendre de la vitesse dans son couloir ou finir les belles occasions collectives dans la surface. Marlène est même devenue la meilleure buteuse de l'équipe. "C'est étonnant car au hand, ma défense prenait le pas sur l'attaque. Parfois, je ne sais même pas comment je marque mais sur un malentendu, ça passe", confie-t-elle avec beaucoup d'autodérision. "On ne ressemble pas trop à des footeuses sur le terrain. Parfois, on joue avec nos shorts de hand", complète sa sœur, sourire aux lèvres.
"Parfois, je ne sais même pas comment je marque mais sur un malentendu, ça passe"
Marlène Gaignon
Cinquièmes du championnat inter-district avec leur équipe, les sœurs Gaignon trouvent à Mézidon l'esprit familial qu'elles aimaient tant à Colombelles. Si elles ont tourné la page du haut niveau, sans regrets, elles se concentrent désormais sur le plaisir ballon au pied. "On joue au foot pour le plaisir. Jouer au ballon, rigoler et travailler", rapporte Marlène, qui s'impose des séances complémentaires à la salle de sport pour combler le déficit d'intensité entre la N1 au hand et le niveau départemental au foot. "On a tout à apprendre techniquement. Même si physiquement, on est à l'aise, on ne se sent pas supérieures", ajoute sa grande sœur. Profiter de la troisième mi-temps est aussi une manière de retrouver leur complicité. "Avant, à Colombelles, on faisait la route ensemble. C’étaient des moments où on échangeait. Maintenant, on profite des moments à la buvette. On échange et on se retrouve entre sœurs", conclut Marlène. Quelque part, l'histoire était écrite. Elles devaient rejouer ensemble sous un même maillot.
Léa QUINIO
L'équipe féminine de l'USC Mézidon, où l'on retrouve les sœurs Gaignon, Marion et Marlène (au centre, au premier rang), évolue en championnat inter-districts.