Il arrive parfois que dans le football, le hasard fasse bien les choses. A l'autre bout du fil, Romane Philippe trépigne d'impatience. La joueuse de l'AS Ifs, ex-milieu de terrain du Stade Malherbe va retrouver ses deux clubs de cœur. Elle a évolué pour le SU Dives-Cabourg mais aussi sous les couleurs de l'AS Dragon, à Tahiti, soit ni plus ni moins que l'une des affiches du 8e tour de la Coupe de France qui se tient ce week-end. "Je suis trop heureuse, vous ne pouvez pas imaginer !", s'exclame la jeune femme âgée de 23 ans. Elle n'a pas raté une miette de la qualification surprise des Polynésiens aux dépens de l'US Avranches au tour précédent. En Outre-mer, "Il était 1 heure du matin. J'ai suivi le match toute la nuit grâce à une Tahitienne qui filmait sur Facebook. J'étais comme une dingue !" Un cri de joie a retenti lorsque son ancien club a créé l'exploit contre le pensionnaire de National 2 à l'issue de la séance de tirs aux buts. Elle partage mêmes les prouesses de l'équipe polynésienne sur ses réseaux sociaux. De leur côté, les hommes de Philippe Clément ont aussi dû passer par les penaltys pour se détacher du FC Saint-Lô (N3) au 7e tour. "Je savais que si les deux équipes gagnaient, elles allaient se rencontrer", glisse l'ancienne Malherbiste, très pointue sur le calendrier.
S'il y a autant d'engouement dans sa voix à l'approche de ce choc, c'est bel et bien parce que ces deux clubs ont compté dans sa carrière. "Mon cœur est partagé entre mon club formateur et celui qui m'a redonné goût au football". Que l'on rembobine. Romane Philippe a fait toutes ses classes sur la Côte Fleurie de 5 à 15 ans, en mixité. A seulement 16 ans, elle a découvert la D2 féminine sous les couleurs de l'AG Caen, en parallèle du pôle espoirs de Rennes puis avant de rejoint Saint-Malo (D2). En 2019, elle signe au SMC avant d'en devenir "dégoûtée du football".
"Sans nous connaître, l'AS Dragon nous a tout donnés. Il m'a redonné envie. Je remercie encore Marc China"
La jeune femme a besoin d'air et d'un nouveau projet. A l'été 2022, Romane Philippe s'envole pour Tahiti. En compagnie de l'une de ses coéquipières, Léa Kergal, elle atterrit à l'AS Dragon, où elle prend en charge des jeunes du club et les U19 féminines. Son intégration s'est déroulée à vitesse grand V. Elle retrouve le sourire. "J'ai une relation très particulière avec ce club. Sans nous connaître, il nous a tout donnés. Après Malherbe, je ne voulais plus entendre parler de foot. L'AS Dragon m'a redonné envie. Je remercie encore Marc China, l'un des coachs les plus importants que j'ai eu". En seulement un an, celle qui a débuté à Dives a noué des liens très forts avec la culture polynésienne et ceux qui les ont accueilli. "A Tahiti, ma famille, c'était mon club. J'y suis encore attachée. Je leur envoie souvent des messages. Là-bas, les gens sont humains et sains", raconte-t-elle, avec nostalgie. Rien à voir avec la métropole, selon elle. Cela ne l'empêche pas de garder les pieds sur terre et de ne pas oublier d'où elle vient. La native de Deauville ayant grandi à Luc-sur-Mer a autant d'attaches pour le SUDC. "Dives a formé la joueuse que je suis aujourd'hui. Ce club a gardé les mêmes valeurs depuis le début, c'est-à-dire de tout donner pour le maillot et être une guerrière sur le terrain. Je remercie Philippe Clément de m'avoir inculqué ça". Un seul de ses anciens coéquipiers porte, aujourd'hui, le maillot divais en National 3. Il s'agit du latéral Jordy Tiehi, plus souvent remplaçant que titulaire.
L'AS Dragon, comparable à une équipe du haut de tableau de R1 selon elle
Il n'y avait qu'une chance sur 89 que les deux camps se rencontrent. Le voilà, tout le charme de la Coupe de France. Recevoir la formation haïtienne amènera un peu de soleil au Stade Heurtematte. Au-delà du choc thermique, les sociétaires de l'AS Dragon vont être dépaysés par les conditions d'accueil du SU Dives. "Là-bas, il n'y a pas de tribune ni de marquage sur le terrain. Quand ils vont découvrir le terrain en métropole, ça va leur changer", affirme Romane Philippe, ex-capitaine de l'AS Dragon. Bien qu'ils aient l'habitude de voyager, trois d'entre eux sont en équipe nationale de beach soccer, le décalage risque d'être brutal. "Ils vont être surpris quand ils vont découvrir le vestiaire. A Tahiti, il y a un banc et deux douches seulement. C'est un autre monde", poursuit-elle. Les Polynésiens ont atterri en Métropole depuis dimanche (24 novembre). Avant d'arriver en Normandie, Romane Philippe a joué l'intermédiaire. "On essaie de les loger au CSN d'Houlgate. Dès qu'ils arrivent dans la région, je serai avec eux".
"je ne sais même pas quel maillot porter. J'ai pensé à couper les deux pour les assembler"
Ce samedi, le SU Dives-Cabourg tentera d'arracher une qualification pour les 1/32e de finale. L'occasion d'égaler la meilleure performance du club (avec une élimination en 1999 face à Lille à l'époque). Pour l'équipe ultramarine de l'AS Dragon, être qualifié pour le 8e tour relève déjà d'un exploit historique. Si l'on s'en tient qu'aux résultats sportifs, les Divais font figure de favori, devant leur public. Mais le piège est vite arrivé, contre une équipe qui a sorti une National 2. "Les deux camps me demandent des infos sur l'autre équipe, c'est rigolo", rigole Romane Philippe. Troisième ex aequo de leur groupe de N3, avec un match de retard, le SU Dives-Cabourg devrait faire parler sa puissance athlétique et sa qualité technique. De leur côté, les Tahitiens mettront en avant leurs atouts physiques et mentaux. "C'est une équipe qui met beaucoup d'impact, et qui se donne à 10 000%. Les joueurs sont des machines de guerre", affirme Romane Philippe, pour qui l'AS Dragon est comparable à une équipe de haut de tableau en R1 en métropole. "Dans tous les cas, ce sont deux équipes qui ne vont rien lâcher".
Le suspense promet d'être à son comble. Romane Philippe choisira-t-elle son camp ? Pas vraiment. "J'ai le cœur partagé, un jour je suis pour Dives, un jour je suis pour Dragon", sourit-elle. "Je ne sais même pas quel maillot porter. J'ai pensé à couper les deux pour les assembler". Autour de la balustrade du Stade Heurtematte, il est possible de la voir encourager les deux formations. Un pronostic peut-être ? "La logique voudrait que Dives gagne. Mais si ça va jusqu'aux tirs aux buts, Dragon a l'expérience et peut encore créer l'exploit". Pas question de se mouiller pour la jeune femme, très attachée aux deux couleurs. "Dans tous les cas, j'aurai le sourire à la fin du match !"
> Coupe de France. 8e tour - SU Dives-Cabourg (N3) / AS Dragon (L1 Tahiti), samedi 30 novembre à 20 heures au Stade Heurtematte.
Léa QUINIO