Alors que son train filait vers la Normandie samedi soir, Zoé Brebion a dû se refaire plusieurs fois le film de son match dans sa tête, sur la route du retour. La jeune femme de 23 ans a livré à Nîmes, au complexe des Costières, sa toute première prestation sur le banc de l’ASSS Caen en première division du championnat de France sourds. Malheureusement pour elle, ses joueurs ont dû s’incliner 2-1. "Je suis frustrée et déçue d’avoir perdue, évidemment", a réagi à chaud l’ancienne Malherbiste."Mais je suis contente d’avoir enfin commencé cette compétition !" Il tardait en effet à la jeune coach de se lancer dans le grand bain, elle qui a fait parler d’elle en début de saison lorsqu’elle est devenue la première femme en France à être nommée à la tête d’une équipe masculine de sourds et malentendants. Mais comment en est-elle arrivée là ?
Educatrice sportive spécialisée au complexe sportif CFC Sports, situé à Carpiquet, l’ex-joueuse du FC Lorient a simplement croisé la route de quelques joueurs de l’ASSS Caen dans le cadre de ses activités. Les liens se sont alors rapidement tissés entre la jeune femme et les footballeurs malentendants. "J’ai vite compris qu’il y avait un manque d’inclusion et de considération très important pour eux", se remémore Zoé Brebion, qui a alors entrepris de mettre en place de précieux moments de rencontres et de partages entre les joueurs et joueuses de l’ASSS Caen et des U18 féminines du SMC. De fil en aiguille, devenue proche du club, la technicienne s’est alors vue proposer de reprendre le poste de coach laissé vacant. "C’était un vrai challenge parce que je ne parlais pas un mot de la langue des signes. Je ne savais pas comment réussir à caler tout cela dans mon emploi du temps, mais je me disais aussi que je ne pouvais pas refuser".
"quand nous ne savons pas nous exprimer envers une personne pour qu’elle nous comprenne, alors on fuit sans même essayer"
Zoé Brebion, entraîneure de l'ASSS Caen
Sportive accomplie et compétitrice dans l’âme, Zoé Brebion s’est octroyée deux missions depuis qu’elle a pris les rênes de l’ASSS Caen : l’une d’ordre sportive, l’autre à dimension humaine. "J’aimerais vivre une saison incroyable et qu’on se qualifie pour la Ligue des champions", confie l’entraîneure. "Mais il y a aussi ce challenge humain et d’inclusion. J’apprends la langue des signes afin de pouvoir encore plus m’adapter à tout le monde". Dans son sillage, la jeune femme emporte avec elles de nombreuses valeurs de tolérance et d’acceptation de l’autre. "Je pars du principe que rien n’est plus beau que la relation humaine, les échanges, les différences de chacun, mais il ne faut pas se mentir, quand nous ne savons pas nous exprimer envers une personne pour qu’elle nous comprenne, alors on fuit sans même essayer. Et ça, ce n’est même pas pensable pour moi".
Le football, une langue globale
Ses premiers pas au sein du club caennais ont vite mis l’ex-Malherbiste face à d’évidentes difficultés. Les matches entre joueurs sourds et malentendants impliquent forcément de nouvelles méthodes de communication à vite dompter. "Cette équipe, on la dirige comme n’importe quelle équipe, et comme tout entraîneur, mon travail est de m’adapter à chacun", précise de prime abord la jeune technicienne. "En termes de communication, je m’adapte, mais eux aussi, ils s’adaptent et c’est ça qui est génial ! Je prends le temps de m’exprimer et faisant des signes que je commence à assimiler". Pour faire passer au mieux ses consignes, Zoé Brebion a aussi recours à des schémas pour mieux illustrer son message. "Et quand ce sont des choses très techniques, un joueur de l’équipe l’explique intégralement en langue des signes", précise-t-elle.
"Je pars du principe que si nous avons de la considération les uns pour les autres, de la patience et de l’envie, on arrive toujours à se comprendre !"
Zoé Brebion, entraîneure de l'ASSS Caen
Lors des rencontres de championnat, il est important de notifier que les 22 acteurs ne sont pas autorisés à garder leurs appareils auditifs, ce qui rend les échanges évidemment plus compliqués entre tous les acteurs. Dès lors, les contacts visuels et les gestes deviennent plus importants que jamais. "Les joueurs ont une prise d’information très importante, ils regardent constamment sur la touche donc je fais des signes afin qu’on se comprenne. Ce n’est pas évident, surtout quand ce sont des choses précises, mais, encore une fois, on s’adapte !" Au sein de l’ASSS Caen, Zoé Brebion est aussi confrontée à un public varié où coexistent différents niveaux de surdité. "Certains sont malentendants, d’autres totalement sourds." Les échanges ne passent cependant pas forcément par les signes. "Aucun joueur n’est « muet », ils ont grandi avec ce handicap auditif donc ils n’ont pas réellement appris à parler, seulement en langue des signes. Cependant, beaucoup s’expriment bien et nous arrivons à nous comprendre".
Dominateurs à Nîmes mais plombés par un carton rouge avant l’heure de jeu, les Caennais sont repartis frustrés de leur premier voyage de la saison, d’autant plus qu’ils ont dû faire l’éreintant aller-retour dans la même journée. "Nous avons dominé sur l’aspect physique et technique", analyse Zoé Brebion qui s’attend à voir ses joueurs rebondir lors de leurs futures rencontres contre Reims, Paris et Vitry, les autres formations de leur poule. Si le sportif est d’importance pour elle, les valeurs humaines de cette aventure sans pareille vont toutefois primer dans l’esprit de la native de la région parisienne. L’important reste de faire tomber des barrières et de faire passer un message. "Je pars du principe que si nous avons de la considération les uns pour les autres, de la patience et de l’envie, on arrive toujours à se comprendre !" Et force est de constater que le football a aussi ce formidable pouvoir de posséder son propre langage universel.
Aurélien RENAULT