Entre la pandémie de la Covid-19 qui les prive de recettes matches (billetterie, hospitalités) et le défaut de paiement du diffuseur Mediapro avec ses 814 M€ par an jusqu'en 2024 qui se sont envolés(1), le football français traverse une crise économique sans précédent. Pour ne rien arranger à cette situation, les clubs hexagonaux doivent composer, depuis le 1er janvier, avec un nouveau paramètre : le Brexit. La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne a des conséquences majeures sur le monde du ballon rond et principalement sur les transferts.
Désormais, pour les citoyens de l'UE souhaitant exercer une activité professionnelle de l'autre côté de la Manche, un permis de travail est indispensable. Jusqu'ici, seuls les « non-européens » (Africains, sud-Américains, Asiatiques…) en avaient besoin. Celui-ci s'acquiert à partir d'un barème à points. Pour le football, il en faut 15. Pour atteindre ce total, plusieurs critères existent : le championnat fréquenté, le nombre de capes internationales (quand il y en a), le niveau de la sélection, le parcours en Ligue des Champions ou en Ligue Europa… Sachant qu'un élément évoluant déjà en Angleterre peut être amené à perdre ce précieux sésame s'il ne joue pas assez ; le permis de travail n'étant pas renouvelable automatiquement ni délivré ad vitam aeternam.
Les joueurs de L2 vont devoir passer par une étape intermédiaire
Si les meilleurs joueurs continentaux (Kylian Mbappé, Cristiano Ronaldo, Eden Hazard…) peuvent toujours être achetés par les pensionnaires de Premier League, ce ne sera plus forcément le cas pour leurs collègues moins prestigieux. Ainsi, un élément issu de la L2 française n'est crédité que de six points (contre 12 en L1). S'il est un titulaire indiscutable (en disputant 90% du temps de jeu), il bénéficiera de six unités supplémentaires. Il lui en manquera donc toujours trois. Trois points qu'il ne pourra décrocher sauf dérogation exceptionnelle.
"Si on prend l'exemple de Tino (Kadewere) la saison dernière, on aurait très bien pu le vendre en Premier League (l'attaquant zimbabwéen avait opté pour Lyon). Avec ce règlement, ça aurait été impossible. Il n'aurait pas été éligible au marché anglais", détaille Pierre Wantiez, le directeur général des « Ciel et Marine ». Dans le même ordre d'idée, quelques années auparavant, les Havrais Lys Mousset et Riyad Mahrez n'auraient jamais pu s'engager à Bournemouth et à Leicester. "Ils auraient dû passer par une étape intermédiaire, en Ligue 1 ou dans un autre championnat mieux classé que la Ligue 2. Ça crée un écart immense entre les divisions", pointe le dirigeant du club doyen avant de tirer cette conclusion implacable : "Un joueur de Ligue 2 ne peut quasiment plus signer en Angleterre".
Pour Pierre Wantiez, ce Brexit ne constitue pas uniquement une mauvaise nouvelle pour la deuxième division mais pour le football français dans son ensemble. Depuis 2010, l'Angleterre a acheté pour 1,25 milliard d'euros dans l'Hexagone, plus que n'importe quel autre pays(2). "Tout ce qui nous appauvrit est important". Toutefois, la L2 risque d'être plus impactée. Le marché britannique (la Premier League et surtout la Championship, la D2) était devenu ces dernières années l'une des principales sources de revenu pour les membres de l'antichambre de l'élite, un moyen d'équilibrer leur compte et de financer leur campagne de recrutement. C'est presque de l'histoire ancienne. "Ça va obliger les clubs de Ligue 2 à vendre différemment", prévient Pierre Wantiez.
L'Allemagne comme nouvelle destination privilégiée ?
Reste à savoir à qui ? Car ce contrôle renforcé des frontières au Royaume-Uni est synonyme de frein pour la globalité du système des transferts en Europe. "Ce phénomène d'aspiration économique que provoquait les Anglais à travers leur puissance financière (3,5 milliards d'euros de droits TV par saison) et l'attractivité de ses compétitions s'apprête à diminuer", met en garde le DG havrais. "Comme leurs homologues français, les clubs allemands et espagnols vont moins vendre en Angleterre donc par ricochet moins acheter dans les autres championnats dont la Ligue 2 et la Ligue 1". Pourtant, à écouter de nombreux observateurs, la Bundesliga, où de nombreux Français évoluent déjà, va prendre le relai et devenir le nouvel eldorado des clubs hexagonaux.
Une théorie à laquelle ne croit pas du tout Pierre Wantiez. "Je ne sais pas si on se rend compte de la situation économique du football mondial. L'été dernier, le marché des transferts a été divisé par deux. Et depuis, ça s'est encore dégradé. Je ne vois pas pour quelles raisons ça repartirait. Comme partout ailleurs, les Allemands jouent dans des stades vides (à cause de la Covid-19) et sont donc privés de leurs recettes liées au match day", rappelle le dirigeant normand qui a gardé d'excellentes relations avec ses homologues du Borussia Dortmund depuis une confrontation en Coupe d'Europe face à Sochaux (en 2003) à l'époque où il exerçait dans le Doubs(3).
"Avec les huis clos, ils estiment leurs pertes à 100 M€ ! Personne ne peut perdre autant d'argent sans que ça lui fasse mal à la tête", assure le DG des « Ciel et Marine » qui a perçu les premières répercussions de cette crise financière outre-Rhin. "On peut imaginer que dans un contexte économique normal, Umut Meras (l'arrière turc du HAC) serait déjà en Allemagne. D'ailleurs, un club était intéressé, pensant que son latéral gauche partirait. Mais il n'a pas eu d'opportunités. Il n'a pas été vendu donc il n'y a pas eu de recrutement pour le remplacer". CQFD.
(1)Suite aux contrats signés en mai 2018, le football français devait percevoir 1,217 milliard d'euros de droits TV domestiques par saison sur la période 2020-2024. Après le désistement de Mediapro et un accord avec Canal +, le football français ne touchera que 750 M€ tout compris dont 70 M€ de revenus internationaux.
(2)Sur la même période, l'Angleterre a acheté pour 760 M€ en Allemagne, 730 M€ en Italie et 660 M€ en Espagne.
(3)Pierre Wantiez fut directeur de la Ligue de Franche-Comté entre 1993 et 2000.
Les clubs français vont-ils pouvoir garder leurs jeunes plus longtemps ?
Pour Pierre Wantiez, l'un des rares effets positifs du Brexit sera que les clubs de Ligue 2 ne seront plus soumis au "chantage" d'agents et autres conseillers. ©Damien Deslandes
Malgré ces nombreux inconvénients économiques, le Brexit pourrait comporter quelques avantages sur le plan sportif pour le football français, notamment pour les pensionnaires de Ligue 2 avec la possibilité de garder leurs jeunes joueurs un peu plus longtemps. "Honnêtement, je ne sais pas. Difficile de se positionner sur cette question", répond Pierre Wantiez qui fustige l'entourage de certains espoirs. "Vous savez, autour des jeunes, il y a souvent des gens qui leur promettent monts et merveilles".
Toutefois, avec l'interdiction désormais des équipes britanniques de recruter à l'étranger des mineurs*, le DG du HAC, comme tous ses homologues dirigeants dans notre pays, ne sera plus soumis au "chantage" d'agents et autres conseillers pour faire grimper les enchères sur des éléments âgés de moins de 18 ans. "On ne va plus entendre de discours comme « Mon joueur ne peut plus rester chez vous car Manchester et Chelsea le veulent »". Cette nouvelle donne va-t-elle inciter ces jeunes à faire preuve de plus de patience dans la construction de leur carrière ? "Ils auraient déjà dû l'être avant", estime Pierre Wantiez.
*Au maximum, les clubs britanniques ne peuvent recruter à l'étranger que six joueurs de moins de 21 ans par saison et pas plus de trois au mercato d'hiver.