La montée en Ligue 1 avec le HAC
"Mon plus grand accomplissement collectif"
Même s’il ne soufflera sa 41e bougie que le 2 août, Luka Elsner possède déjà plusieurs faits d’armes à son actif. En 2016, le coach slovène avait conduit le NK Domzale, club de son pays natal, à une double confrontation en Ligue Europa contre les Anglais de West Ham avec notamment un match retour dans la mythique enceinte de Wembley (2-1, 0-3). Trois ans plus tard, il avait emmené l’Union Saint-Gilloise, pensionnaire de D2 belge, en demi-finale de la coupe nationale, s’offrant le scalp au passage d’Anderlecht et de Genk. Mais le technicien l’assure, il n’avait jamais rien vécu d’aussi fort qu’avec le HAC. "C’est mon plus grand aboutissement collectif", ne passe pas par quatre chemins Luka Elsner qui a accroché un premier titre à son palmarès en tant qu’entraîneur. "Cette montée en Ligue 1 représente un travail de longue haleine sur toute une saison. On a laissé une marque dans l’histoire du club". Une accession d’autant plus belle qu’elle était loin d’être programmée. "On pouvait l’espérer mais ça relevait plus du rêve que de la réalité".
En même temps, entre une nomination le 20 juin, une poignée de jours avant la reprise, et un staff ainsi qu’un effectif à composer, l’ex-coach d’Amiens, de Courtrai et du Standard ne partait pas avec tous les atouts dans son jeu. "Quand on entre dans la préparation, compte tenu du temps qui nous avait été confié et des ressources à disposition avec un budget qui n’est pas du tout à la hauteur de la réalisation finale, il semblait assez improbable que ça se termine de cette manière". Pourtant, quelque chose nous dit que l’ancien défenseur (dans l’axe ou en latéral droit) avait une petite idée derrière la tête quand il a pris les commandes des « Ciel et Marine », en atteste ce fameux « mur des victoires », à l’entrée du centre de Soquence. Une « cérémonie » qu’il avait déjà instaurée à l’époque où il dirigeait Saint-Gilles. "Après chaque victoire, à la fin de la rencontre, on prenait une photo sur la pelouse avec les supporters et il revenait au joueur qui avait élu guerrier du match par l’ensemble du groupe de la poser dans un cadre et de nous dire quelques mots". En début de saison, Luka Elsner et son staff avaient installé 20 cadres, soit en moyenne le nombre minimum de succès qu’il faut pour composter son billet en première division ces dernières années. On vous laisse deviner combien de victoires ont remporté les partenaires de Victor Lekhal...
Son parcours comme entraîneur
"Je me suis dit que s’il y avait bien une personne avec qui ce serait intéressant de travailler, c’était bien Mathieu"
Elu par ses pairs meilleur entraîneur de Ligue 2 pour l'exercice 2022-2023, Luka Elsner n’a pas toujours connu les joies du succès depuis qu’il a épousé cette carrière sur les bancs. Avant de s’engager avec le HAC, le technicien slovène restait d’ailleurs sur une expérience contrastée à la tête du Standard. Au lendemain du rachat du club liégeois par les Américains de 777 Partners en avril 2022, il avait été démis de ses fonctions alors que son équipe occupait une triste 14e place. Dans ce contexte, comment expliquer que d’une saison à l’autre, le natif de Ljubljana ait trouvé la formule gagnante ? "Vous savez, la réussite d’une saison est multifactorielle", répond un Luka Elsner mettant en avant la solidarité de tous les instants entre les joueurs, entre les membres du staff, entre les joueurs et le staff. "Il a régné une entente vraiment parfaite. Tout le monde se sentait bien ensemble, venait au centre d’entraînement avec cette volonté de faire les efforts, tout le monde était prêt à mettre la main à la pâte, à faire des sacrifices". Pas question pour lui de s’approprier la montée en Ligue 1 des « Ciel et Marine ». "Ça n’a aucun sens d’extraire une individualité d’un succès collectif qui appartient à tout un groupe".
Le coach havrais le reconnaît : ses « échecs » précédents (même si cette notion est toute relative) ont contribué à le rendre plus performant dans son métier. "Je suis un grand partisan de l’idée que chaque situation vécue te prépare à la suivante. Le concept d’un mal pour un bien existe réellement dans ma réflexion". Ses passages dans certains clubs l’ont aussi poussé à s’interroger sur la nature des projets qu’il rejoignait. "Est-ce que c’est celui qui correspond le mieux à mon profil ?" Mais quand Mathieu Bodmer, qui avait été son joueur à Amiens en 2019-2020, a décroché son téléphone pour lui proposer de rallier la Normandie, Luka Elsner n’a pas hésité pour y répondre favorablement. "Je me suis dit que s’il y avait bien une personne avec qui ce serait intéressant de travailler, c’était bien Mathieu. Rien que cette idée de collaboration m’a incité à l’optimisme. Donc au final, il n’y a pas vraiment eu de grande réflexion de ma part".
Luka Elsner au milieu de ses joueurs (Etienne Kinkoué, Christopher Opéri, Arouna Sanganté, Yann Kitala et Amir Richardson) le soir de la montée en Ligue 2 et du titre de champion de France de Ligue 2. ©Damien Deslandes
Sa méthode
"J’ai toujours considéré que l’entraînement est notre ressource principale pour gagner des matches"
"On s’entraîne deux fois plus que Bordeaux. Il n’y a pas d’histoire de chance, ce n’est que du travail". Après avoir dominé les Girondins fin janvier (2-1), Oualid El Hajjam avait répondu sèchement à Vital Nsimba ; le latéral aquitain mettant sur le compte de la « réussite » le magnifique parcours du HAC. On ne sait pas si les Havrais ont bossé deux fois plus que leurs adversaires la saison dernière, tout ce qu’on peut affirmer, c’est qu’ils bossent, beaucoup. Pour preuve, cette double séance « terrain » instaurée les mardis ainsi que les jeudis ; un jour situé à 48 heures du match où traditionnellement, les clubs coupent avec un programme très léger. "D’une façon générale, les valeurs travail et effort ont toujours été essentielles dans mon approche. J’ai toujours considéré que l’entraînement est notre ressource principale pour gagner des matches", résume Luka Elsner dont la philosophie a encore été renforcée au contact du préparateur physique Thomas Joubert, arrivé également l’été dernier dans la cité Océane. "Thomas est un adepte de cette méthodologie avec ces deux séances quotidiennes deux fois dans la semaine. Il m’a convaincu de l’appliquer à ce groupe".
Si le staff « Ciel et Marine » a adopté ces principes, c’est aussi parce que les joueurs ont su y répondre favorablement. "A travers toute une série de données, on s’est très vite rendu compte que le groupe avait une très forte capacité d’entraînement et de récupération. Certains garçons se sont aussi adaptés. On a rapidement évalué qu’on pouvait aller assez loin dans les volumes et dans les intensités. Physiquement, ce fut l’un des éléments clé de notre saison car on a créé un schéma où les entraînements étaient plus durs que les matches. Même mentalement, ça nous a forgés", développe le technicien slovène. Et malgré cette charge de travail conséquente, l’effectif havrais a déploré peu de blessures sur le plan musculaire. Il faut dire que le club doyen met tout en place pour placer ses joueurs dans les meilleures dispositions avec notamment des repas pris en commun (petit-déjeuner et déjeuner). Une salle de repos avec des lits superposés a également été aménagée pour leur permettre de faire une sieste entre les deux séances.
Ses influences
"Je ne me suis jamais détaché du Barça de Guardiola"
C’est avec un œil attentif que Luka Elsner a dû regarder la dernière finale de Ligue des Champions avec le succès de Manchester City aux dépens de l’Inter Milan (1-0), lui le disciple de Pep Guardiola. "Dans la lignée du jeu proposé par Cruyff, je ne me suis jamais détaché du Barça de Guardiola. C’est ma source d’inspiration la plus forte. Selon moi, c’est ce qui se rapproche le plus de ce que le football doit être", confie l’entraîneur havrais qui s’est aussi penché sur des styles radicalement différents avec Diego Simeone (Atlético Madrid) et le modèle Red Bull (Leipzig, Salzbourg). "Chacun doit se former en fonction de sa personnalité, de son historique, de l’environnement dans lequel il a été baigné… Tout a ce qu’on a vécu détermine une sorte de carte génétique de votre football".
Polyglotte (il parle anglais, français, slovène, serbo-croate et a de solides bases en allemand et en espagnol), le technicien n’hésite pas non plus à piocher des idées dans d’autres disciplines (rugby, basket, handball), échangeant avec ses homologues de ces sports. "Par exemple, au handball, les attaques placées se rapprochent un peu à ce que l’on retrouve dans le foot avec un bloc bas face à nous, des points de fixations à créer, des supériorités à engager… Se demander comment les handballeurs font pour appréhender cette problématique, c’est intéressant. En Belgique, j’en avais discuté avec un coach d’une équipe locale. Ce fut très pertinent".
Son héritage familial
"Mon grand-père fut une réelle source d’inspiration"
En Slovénie, le patronyme Elsner n’est pas anodin quand on parle de ballon rond. Et pour cause, Branko, le grand-père de Luka, fut notamment sélectionneur de l’Autriche dans les années 1970. "Mon grand-père fut l’un des premiers techniciens slovènes à s’expatrier en Europe. C’était quelqu’un de très académique, très universitaire. Il fut une réelle source d’inspiration pour moi. Cette passion de l’entraînement me vient de lui", témoigne celui qui est titulaire d’une maîtrise en entraînement sportif obtenue à la faculté de Nice. Dès son adolescence, Luka Elsner a su qu’il voulait devenir coach.
Mais son aïeul ne fut pas son unique modèle familial. Son père, Marko, a fait partie de l’équipe de Yougoslavie, médaillée de bronze aux JO de Los Angeles, en 1984. "C’est une combinaison de ces deux influences. Mon papa était un romantique du football, il aimait le beau jeu". Ce défenseur central a, entre autres, évolué à l’OGC Nice pendant cinq saisons (1987-1990 puis 1991-1993). C’est d’ailleurs dans le Sud de la France que Luka et son frère, Rok, ont grandi, fréquentant même le centre de formation des Aiglons. "Quand on était petit, à la maison, c’était une école du foot au quotidien. On apprenait énormément", se remémore l’entraîneur du HAC qui n’a jamais ressenti de pression liée à son nom de famille. "Peut-être qu’au cours de ma carrière, il y a eu des attentes un peu plus fortes, des gens qui se sont dit que j’en étais là parce que je m’appelais Elsner mais vous savez, quand vous démontrez une certaine qualité, une certaine valeur, les choses rentrent rapidement dans l’ordre. Je n’ai jamais perçu mon nom de famille comme un poids". Au contraire. "Ce fut un atout. Il ne faut pas se le cacher, le nom Elsner ouvre des portes en Slovénie". Aujourd’hui, c’est en France qu’il est en train de se tailler une solide réputation.
Une carrière de joueur bien plus solide qu’il ne le laisse penser
Luka Elsner avec le maillot du NK Domzale dont il a défendu les couleurs en tant que joueur à plus de 200 reprises.
Avant d’embrasser sa vocation d’entraîneur, Luka Elsner fut un joueur, un joueur modeste si l’on se fie aux propos du principal intéressé. Pourtant, le coach slovène a réalisé une solide carrière avec plus de 250 rencontres professionnelles à son actif, principalement dans son pays natal, au NK Domzale. "J’ai eu la chance de vivre des matches européens, des qualifications pour la Champions League", énumère l’ancien défenseur qui compte une cape avec la Slovénie contre la Suède, en 2008.
Membre d’une génération très talentueuse comprenant notamment Samir Handanovic (Inter Milan), Valter Birsa (ex-Sochaux, Auxerre) ou encore Bostjan César (ex-Marseille), Luka Elsner a même été à deux doigts de prendre part à la Coupe du Monde en Afrique du Sud, en 2010. "J’ai été appelé une bonne dizaine de fois en sélection, je faisais partie du groupe pour les éliminatoires mais quand la liste s’est réduite à 23 joueurs, je n’étais pas dedans". Toutefois, ne comptez pas sur le technicien havrais pour crier au scandale. "C’était une décision logique".
Très tôt tourné vers l’entraînement, Luka Elsner considère sa carrière de joueur comme "une parenthèse" entre ses études et ses débuts sur un banc. "Ce fut une parenthèse improbable mais fantastique, qui m’a rendu heureux". Néanmoins, dès que l’opportunité s’est présentée, il a rangé ses crampons. "A 31 ans, j’ai eu la possibilité d’intégrer le staff de Domzale en qualité d’adjoint. Je voulais commencer le plus tôt possible dans ce métier pour acquérir de l’expérience". Un an et demi plus tard, il endossait la casquette de n°1. Un parcours qui l’a conduit, pour le moment, jusqu’à une montée en Ligue 1 avec les « Ciel et Marine ».