Foot Normand

Mathieu Bodmer, ses années caennaises

Mathieu Bodmer portant le maillot « Rouge et Bleu » au début des années 2000 quand il défendait les couleurs du Stade Malherbe en D2. ©Roland Le Meur

On ne va pas se mentir, si on aurait pu imaginer un jour que Mathieu Bodmer, une fois les crampons raccrochés, reviendrait dans sa région natale pour revêtir la casquette de dirigeant, on ne pensait pas que ce serait de ce côté-ci du pont de Normandie. Car si aujourd’hui l’ancien milieu de terrain de Lyon, du PSG et de Nice est le directeur sportif (avec succès) du HAC, c’est 100 km plus à l’ouest, chez le voisin caennais, qu’il a lancé sa carrière professionnelle. Natif d’Evreux, celui qui officie également comme consultant pour Amazon Prime et RMC Sport a intégré le centre de formation des « Rouge et Bleu » en 1998. A l’époque, à l’initiative de Franck Deshayes, éducateur pour le club malherbiste, un partenariat avait été instauré avec l’ALM. Ils sont d’ailleurs nombreux dans les années 1990 à avoir parcouru le chemin séparant la préfecture de l’Eure de Venoix : Bernard Mendy, Matthieu Ballon (actuellement entraîneur des U17 du SMC), Romain Michalak…

Pour Mathieu Bodmer, tout est allé très vite. "J’avais l’habitude de regarder tous les matches des jeunes. Un jour, sur une rencontre des U17 de Laurent Lesgent, j’ai vu un grand joueur, très élégant, très technique, très intelligent qui évoluait en charnière centrale. J’ai tout de suite jeté mon dévolu sur lui en le faisant monter avec moi, au sein de la réserve (D3)", se souvient Nasser Larguet, ex-directeur du centre de formation du Stade Malherbe. "J’en ai même fait mon capitaine. Alors qu’il était âgé d’à peine 17 ans et malgré la descente massive des pros, c’est lui qui portait le brassard. Même s’il était introverti, il avait une certaine personnalité dans le jeu. Il était très mature pour son âge", ajoute l’actuel directeur technique national (DTN) de l’Arabie Saoudite qui se rappelle l’avoir conduit, avec Salah Bakour, à un rassemblement de l’équipe de France U18 dirigée par Guy Stéphan à Yerville (Seine-Maritime).

Une promotion facilitée par les piètres résultats du SMC

Dans la foulée, l’Ebroïcien ne mettra que quelques mois à être promu au sein du groupe « pro », bien aidé par les piètres résultats des partenaires de Jimmy Hébert en D2. "Comme on avait réalisé un mauvais départ (cinq défaites sur les sept premières journées), j’ai rapidement fait appel à Mathieu. C’était une évidence. C’était le meilleur joueur en formation, le plus prometteur. C’est un choix qui s’est imposé à moi", rapporte l’emblématique Pascal Théault ; un ancien entraîneur caennais qui ne survivra pas à cette entame catastrophique en étant congédié début septembre.

"Mathieu avait cette capacité à lire le jeu. Il avait cette façon d'anticiper, pour défendre et pour attaquer", Johan Gallon

Malgré ce marasme collectif, le jeune Mathieu Bodmer surnage. "Vous savez, quand un garçon de 17 ans et demi est le meilleur de votre équipe, ce n’est pas forcément bon signe ni très encourageant pour les autres", souligne celui qui dirige l’académie de l’Asec Abidjan en Côte-d’Ivoire. On dit souvent qu’une carrière se joue à peu de chose. Si l’ex-protégé de Claude Puel au Losc aurait tôt ou tard percé dans le monde professionnel, la dynamique négative du SMC a accéléré son intégration. "Si on avait été premier de Ligue 2, Mathieu ne serait jamais entré dès le mois d’août. C’est son destin. C’est là qu’intervient cette part de chance pour un jeune entre 18 et 22 ans. Il faut être là au bon moment, au bon endroit avec la bonne personne".

A ses débuts, le directeur sportif du Havre est utilisé dans différents rôles : milieu défensif, défenseur axial voire même latéral droit ! "On l’a vu tout au long de son parcours, Mathieu a alterné entre différents postes. C’était l’une de ses forces. Il avait cette capacité à lire le jeu. Et surtout, il avait cette façon d’anticiper, anticiper pour défendre et également pour attaquer", décrypte Johan Gallon, son ancien coéquipier sous le maillot « Rouge et Bleu ». Pourtant, aussi talentueux qu’il puisse être à l’époque, certains ne se doutent pas que l’international espoir va se construire un aussi beau CV. "Je ne pensais pas qu’il ferait cette carrière qui l’a emmené aux portes de l’équipe de France", reconnaît le coach de Mondeville (R1). "Son passage à Lille lui a fait franchir des étapes, il a acquis beaucoup de confiance".

Le directeur sportif salué, l'homme plébiscité

Au regard de sa vision du football déjà à la fin des années 1990, tous ceux qui ont fréquenté Mathieu Bodmer au SMC ne sont pas surpris de sa trajectoire actuelle comme dirigeant. "Ce qu’il accomplit au HAC (leader de Ligue 2 au soir de la 32e journée), ce n’est pas étonnant. En tant que joueur, il avait ce temps d’avance dans la compréhension du jeu. J’ai l’impression qu’il l’a gardé en tant que manager, notamment dans le recrutement. En l’espace d’un an, il a réussi à imposer sa patte. Il a su choisir des hommes qui lui correspondent et créer autour de lui une osmose", témoigne Johan Gallon pour qui son ex-partenaire a conservé l’un de ses traits de caractère qu’il avait sur le terrain. "On a l’impression qu’il est toujours aussi tranquille. Il a cette zen attitude". Nasser Larguet a, lui, été marqué par ses interventions médiatiques, à la TV comme à la radio.

"S'il n'y avait que des Mathieu Bodmer, le football serait encore plus formidable", Pascal Théault

"Quand il est devenu consultant, il a fait preuve d’une analyse vraiment très pertinente. Il a montré qu’il avait l’étoffe pour travailler dans un club pro. J’étais persuadé que ça serait un futur grand dirigeant", clame le DTN de l’Arabie Saoudite qui a partagé, par caméras interposées, un instant émouvant avec Mathieu Bodmer. "Quand j’ai assuré l’intérim à la tête de Marseille (en février 2021), alors qu’il travaillait sur la chaîne Téléfoot, Mathieu m’a rendu un hommage sur le plateau. C’est quelqu’un d’extrêmement reconnaissant. Je lui ai répondu que moi aussi, je m’étais construit en tant qu’éducateur grâce à des garçons comme lui".

Dans la même lignée, Pascal Théault, plus que sa reconversion professionnelle, met en avant sa qualité en tant qu’homme. "Ce qu’il a pu faire sur le plan social, notamment avec son club d’Evreux (président de l’EFC 27 de 2009 à 2013), c’est très rare, c’est un exemple. Je dis chapeau. Il a donné de sa personne, du temps et de l’énergie. Je pense d’ailleurs que ça l’a empêché d’aller encore plus haut comme joueur. S’il n’y avait que des Mathieu Bodmer, le football serait encore plus formidable. Le football français a besoin de gens comme lui", estime le patron de l’académie de l’Asec Abidjan qui ne tarit pas d’éloges à propos du directeur sportif havrais. "Que le joueur soit devenu international ou pas, qu’il ait joué en Ligue 1 ou en Ligue 2, qu’il ait remporté des titres, ce n’est pas ça qu’on retient. Pour les vrais formateurs, ce qui importe, c’est d’avoir contribué à en avoir fait des hommes. Comment ils transmettent ce qu’ils ont appris ? Avec des garçons comme Mathieu, on peut dire qu’on n’a pas perdu notre temps". Difficile d’ajouter quelque chose de plus.

> L2. J33 - SM Caen (5e - 52 points) / Le Havre AC (1er - 65 points), samedi 29 avril à 14 H 45 au Stade Michel-d'Ornano.

Entre Mathieu Bodmer et le Stade Malherbe, un goût d’inachevé

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Après deux saisons comme titulaire avec le Stade Malherbe en D2, Mathieu Bodmer avait été mis à l'écart du groupe « pro » par l'entraîneur Patrick Rémy, lui reprochant une supposée nonchalance et un manque de combativité. ©Roland Le Meur

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la fin de l’aventure entre Mathieu Bodmer et le Stade Malherbe n’a pas été idyllique. Alors qu’il sort de deux années abouties, portant même à plusieurs reprises le brassard de capitaine, l’actuel directeur sportif du HAC va vivre un troisième exercice sous le maillot « Rouge et Bleu » (2002-2003) ô combien compliqué. Victime collatérale des mauvais résultats de son équipe, le milieu de terrain est mis à l’écart du groupe professionnel par son entraîneur Patrick Rémy qui lui reproche une supposée nonchalance et un manque de combativité. Il terminera la saison avec la réserve (en CFA) avant de s’engager avec Lille. Pour faciliter ce départ, l’histoire raconte qu’il a lui-même racheté son contrat avec son club formateur.

Depuis, les deux parties n’ont plus jamais collaboré ensemble même si les relations sont apaisées*. En 2018, un éventuel retour comme joueur avait fuité dans les journaux sans que cela ne dépasse le stade de la rumeur. "Depuis que je suis parti en 2003, Malherbe ne m’a jamais rappelé pour que je revienne, que ce soit en tant que joueur ou pour une autre fonction. Et pourtant, tout le monde a mon numéro (sourire)", nous avait confié Mathieu Bodmer avant le début du championnat. Pour le plus grand bonheur des supporters havrais.

*Timéo, le fils cadet de Mathieu Bodmer, est pensionnaire du centre de formation du SM Caen. Il évolue dans la catégorie U17.

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