Etes-vous inquiet pour l'avenir du football professionnel français ?
"Il y aura toujours du foot pro après cette crise sanitaire. Maintenant, est-ce que ça sera toujours le même qu'avant ? Les clubs ont misé sur des ressources qu'ils ne percevront pas, ou pas entièrement. Actuellement, on est privés de l'ensemble de nos recettes : la billetterie, les prestations hospitalités, les droits TV… Nos entreprises-partenaires sont également fortement impactées par cette crise. Il ne faut pas oublier non plus qu'un soir de match à domicile, on fait travailler 200 personnes. Dans le même temps, on est confrontés à des charges identiques. On est dans un secteur d'activité où la masse salariale représente, en moyenne, entre 55 et 70% de notre budget. C'est pourquoi on va devoir faire face à des difficultés majeures. On n'est pas à l'abri de la casse et d'une vraie catastrophe économique".
Il est beaucoup question des droits TV et des prochaines échéances qui ne seraient pas honorées par les diffuseurs (Canal + et beIN Sports)…
"Si les championnats ne vont pas à leur terme, les diffuseurs ne régleront pas ce qu'il est prévu dans leur contrat. C'est comme quand vous réservez une chambre d'hôtel avec balcon et spa. Si, quand vous arrivez, il n'y a finalement pas de spa, vous n'allez pas payer le prix convenu. Et même si on va au bout des championnats, pas certain qu'ils s'acquittent de la totalité. Les diffuseurs ont payé pour un programme et notamment la Ligue 1 avec cinq matches décalés (le vendredi soir, le samedi après-midi et trois le dimanche) pour environ une dizaine d'heures d'antenne. Là, on leur dit qu'il pourrait y avoir des multiplex en semaine et seulement une ou deux affiches décalées. Forcément, ça n'a pas la même valeur. Idem si ça se joue à huis clos. Les études montrent clairement que des matches disputés ainsi sont beaucoup moins attractifs pour les téléspectateurs".
Cette position des diffuseurs souligne la TV dépendance des clubs français (plus du tiers de leurs ressources, transferts compris)…
"C'est notre modèle économique. Ce n'est pas infamant de dépendre des droits TV. Je rappelle que nous sommes une activité de spectacle et les diffuseurs en sont l'un des premiers acteurs".
Aujourd'hui, la principale difficulté, c'est que personne ne sait quand les compétitions pourront reprendre. On évoque la possibilité de jouer au-delà du 30 juin, jusqu'au 15 juillet, fin août voire au-delà…
"Dans cette situation, je pense déjà qu'il faut faire preuve d'humilité. Personnellement, je ne sais pas comment la situation sanitaire va évoluer. Aujourd'hui, celui qui peut me dire avec certitude quand les championnats reprendront, je l'admire. Si demain, on découvre que trois joueurs d'une équipe sont infectés. On fait quoi ? Après, on peut émettre certaines suppositions. Imaginons que la période de confinement dure six semaines, soit autant voire plus qu'une trêve estivale, ça nous emmène au 27-28 avril pour une reprise de l'activité professionnelle. Les préparateurs physiques estiment qu'il faut 15 jours-trois semaines pour que les joueurs soient compétitifs. Du coup, la compétition pourrait reprendre autour du 15 mai. Si on respecte ce planning, on peut finir nos championnats le 15 juillet sans problème. Derrière, on disposerait encore de 15 jours d'ici au 31 juillet pour terminer les coupes d'Europe. C'est très important pour nos locomotives (le PSG et Lyon en l'occurrence)".
Aller au terme des championnats (L1-L2) est-il vital pour les clubs ?
"Oui et je suis tout à fait d'accord pour tout mettre en œuvre pour finir les compétitions. Maintenant, ce n'est pas pour autant qu'il faut faire n'importe quoi. La Ligue (LFP) travaille sur différents scénarios. Nos compétitions doivent garder leur éthique et leur cohérence. On doit être vigilants à cela car sinon, je crois qu'on se tirerait une balle dans le pied. Quand j'entends que Toulouse, qui n'a pris que 15 points (13 en réalité en 28 journées), pourrait se sauver sur deux matches contre le barragiste de Ligue 2, pour moi, ce n'est pas possible*. Quand j'entends aussi certains dire qu'on peut prolonger la saison jusqu'en novembre ou décembre, je me demande qui va payer pour les six mois supplémentaires de contrat. Avec quel argent ? Si on reprend la compétition, une partie de nos revenus vont être décalés dans le temps mais ils ne vont pas augmenter alors que plus la saison s'étendra, plus nos charges augmenteront".
Un décalage de cette saison aurait forcément des répercussions sur le calendrier de la suivante…
"Oui, mais si on poursuit la même logique avec une fin de saison autour du 25-31 juillet, les joueurs, après deux-trois semaines de vacances, pourraient reprendre l'entraînement vers le 15 août. Le championnat commencerait autour du 10 septembre, soit avec environ un mois de retard par rapport à la date prévue. Il faudrait décaler les premières journées des coupes d'Europe mais je ne pense pas que ça soit insurmontable. En France, en plus, la suppression de la Coupe de la Ligue va libérer des dates".
Durant ce confinement, quelles mesures a pris le HAC concernant ses salariés, et notamment ses joueurs et son staff, pour faire face à la baisse de ses revenus ?
"Par définition, les sportifs de haut niveau ne peuvent pas faire de télétravail. Ils peuvent, bien sûr, continuer de s'entretenir physiquement de chez eux en suivant le programme envoyé par le préparateur physique mais ce qui fait le cœur de leur métier est impossible : les entraînements collectifs, les soins, les analyses vidéo… Au début du confinement, les joueurs et le staff, avec leur accord, ont pris 15 jours de congés ; ce qui a permis à plusieurs d'entre eux de retrouver leur famille, leurs proches, les personnes qu'ils aiment, notamment pour nos étrangers. Humainement, c'est une période qui peut être très difficile à vivre loin des siens. Et derrière, ils ont été mis au chômage partiel mais ils continueront d'être payés par le club pour les activités physiques qu'ils poursuivent. Pas question de profiter d'un effet d'aubaine. Comme on évoque le chômage partiel, j'en profite pour ouvrir une parenthèse et souligner les mécanismes d'amortisseurs sociaux dont nous bénéficions en France. Dans cette période difficile, tous les salariés toucheront un salaire à la fin du mois. Ce n'est pas le cas dans tous les pays".
Comment les joueurs vivent cette période si particulière ?
"On échange très régulièrement avec eux, notamment avec le comité des sages (composé de Mathieu Gorgelin, Pape Gueye, Amos Youga, Victor Lekhal, Alexandre Bonnet et Tino Kadewere). Déjà, je vais tordre le cou à une idée reçue, les footballeurs ne sont pas plus sots que la moyenne. Ce sont juste des salariés plus jeunes par rapport à ce que l'on a l'habitude de trouver dans une entreprise classique. Ils sont âgés entre 20 et 35 ans. Par rapport à un vieux comme moi (Pierre Wantiez vient de souffler sa 59e bougie), ils possèdent moins d'expérience. Ils réagissent avec leur sensibilité. Pour certains, ils ont forcément peur du lendemain. Mais ils ne sont pas là pour se plaindre. Ils ont bien conscience qu'ils sont privilégiés".
Pour faire face aux difficultés économiques rencontrées par les clubs, on évoque la possibilité pour les joueurs de baisser encore leurs salaires comme cela a pu se produire dans certains grands clubs européens (Bayern Munich, FC Barcelone, Juventus Turin)…
"Il faut savoir que d'un pays à un autre, la législation est très différente. Et pour certains cas à l'étranger, j'ai cru comprendre qu'il existait des clauses de meilleure fortune (les joueurs en question toucheraient les salaires non perçus ultérieurement). En France, la législation est très protectrice vis-à-vis du salarié. Contrairement à ce qu'on peut lire à droite ou à gauche, pour baisser le salaire d'un employé dans notre pays, il faut un accord individuel. Si l'on veut adopter cette solution, il faudra négocier avec chaque joueur. Et forcément, en fonction de sa situation, chacun réagira différemment. Ce n'est pas la même chose d'avoir 32 ans avec seulement un an de contrat d'un côté et 20 ans avec encore trois ans d'engagement de l'autre. Je sais que ça peut être compliqué à comprendre pour le grand public mais certains joueurs ont aussi des échéances à respecter. En bon père de famille, ils tentent de rentabiliser au maximum leur carrière en investissant une partie de l'argent gagné à travers des placements financiers. Et s'ils n'honorent pas leurs traites…".
Si la saison s'étirait au-delà du 30 juin, se poserait également la question des joueurs en fin de contrat. Le HAC est particulièrement concerné par ce sujet (Barnabás Bese, Baba Traoré, Amos Youga, Pape Gueye et Ebenezer Assifuah seront tous libres au 1er juillet)…
"J'ai cru comprendre que l'UNFP, le syndicat des joueurs, était plutôt ouvert à la discussion. Après, peut-être qu'il existe une autre solution qui reste à vérifier sur un plan juridique. Si la Fédération française, qui est la seule réglementairement à pouvoir fixer la date de fin de saison, décide, en raison d'un cas de force majeure, de la repousser au 31 juillet au lieu du 30 juin, on peut supposer que tous les contrats seraient prolongés à date, avec un salaire identique. Bien sûr, il faut que ça concerne tous les clubs. Pas question, sous prétexte que vous n'ayez plus rien à perdre ni à gagner sur le plan sportif, que certains décident de ne pas conserver un ou plusieurs joueurs en fin de contrat afin de réaliser des économies. Car cela fausserait nos championnats. Les adversaires affrontés après le 30 juin seraient alors avantagés".
*Une des pistes de travail étudiées par la LFP consisterait à repartir la saison prochaine avec une Ligue 1 comprenant 22 clubs ; les deux premiers de L2 seraient promus alors que le vainqueur des barrages d'accession, opposant les équipes classées troisième, quatrième et cinquième, affronterait la lanterne rouge de L1 en matches aller-retour.