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Pierre Wantiez "Jouer à huis clos, c'est une question de survie économique"

Pour Pierre Wantiez, en attendant un retour du public (espéré pour janvier), la possibilité de jouer à huis clos permet d'essayer de sauver les droits TV du football français. ©Damien Deslandes

Pour Pierre Wantiez, en attendant un retour du public (espéré pour janvier), la possibilité de jouer à huis clos permet d'essayer de sauver les droits TV du football français. ©Damien Deslandes

Des huis clos… indispensables

Pendant des mois, et encore aujourd'hui, Jean-Michel Aulas, le président de Lyon, n'a cessé de répéter que le football professionnel français avait commis une énorme erreur la saison dernière en ne reprenant pas le chemin des terrains, à l'inverse de la plupart de ses voisins européens. Visiblement, cette fois-ci, le message a été entendu. En dépit de l'instauration d'un reconfinement fin octobre afin, de nouveau, de lutter contre la propagation de la Covid-19, les championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 ne se sont pas arrêtés ; les journées se disputant désormais à huis clos (lire ci-dessous). "Je ne dirais pas c'est une bonne chose, c'est la moins mauvaise des pires", résume Pierre Wantiez, le directeur général du HAC.

"Si les matches ne se déroulent pas, les droits TV ne tombent plus. Déjà qu'ils viennent mal..."

"Actuellement, jouer à huis clos, c'est une question de survie économique. Si les matches ne se déroulent pas, les droits TV ne tombent plus. Déjà qu'ils viennent mal… Prenez n'importe quelle entreprise, si vous lui enlevez toutes ses ressources, le problème est très vite réglé". Aujourd'hui, les clubs sont privés de l'ensemble de leurs « recettes matches ». En fonction du niveau que vous fréquentez, L1 ou L2, ce poste ne pèse pas le même poids dans votre budget. Pour l'exercice 2018-2019, il représentait 6% des revenus du Havre hors transferts, le double au Stade Malherbe, encore membre de l'élite à cette époque.

"Bien évidemment, ces matches ne seront pas facturés à nos partenaires ni au grand public". Un remboursement, un avoir pour la saison suivante voire un don constituent autant de solutions. Pour compenser ces pertes, Emmanuel Macron, le président de la République, a annoncé la création d'un fonds billetterie à hauteur de 107 M€, plafonné à maximum 5 M€ par club(1). Une aide plus que bienvenue mais qui risque de ne pas être suffisante. Cette enveloppe n'englobant pas la baisse potentielle des sponsors privés à l'avenir. "Il est impossible de mesurer les dégâts de cette crise dans le portefeuille de nos partenaires et des particuliers. Rien ne nous dit qu'on n'aura pas une régression à moyen terme de nos engagements", soulève comme hypothèse le dirigeant des « Ciel et Marine ». Dans ces conditions, la solidité des actionnaires va se révéler capitale. Avec Vincent Volpe d'un côté et le duo Oaktree - Pierre-Antoine Capton, le HAC et le Stade Malherbe peuvent dormir sur leurs deux oreilles.

(1)Sur ces 107 M€, 48 M€ seront affectés aux clubs de football, 40 M€ à leurs homologues du rugby, 4 M€ au BVH (Basket-Volley-Handball) et disciplines associées comme le hockey-sur-glace ; le reste de cette enveloppe étant destiné aux organisateurs de grands événements sportifs. Comme réclamé, les clubs professionnels vont également bénéficier d'une exonération des charges sociales pour les mois d'octobre, novembre et décembre ; soit une enveloppe de 35 M€.

Le retour du public espéré en janvier

Au départ, ils ont eu droit à 5 000 spectateurs puis à 1 000 avant finalement de basculer à huis clos. Depuis fin octobre et l'entrée en vigueur de ce deuxième confinement, les clubs évoluent dans des stades vides. Une situation qui va perdurer, au minimum, tout le mois de décembre. Dans le meilleur des scénarios, le retour du public dans les enceintes ne sera autorisé qu'en janvier 2021. Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Education et des Sports, l'a confirmé sur le plateau de BFM TV il y a deux jours. Le gouvernement a indiqué qu'il ne serait plus question de jauges fixes mais d'un pourcentage calculé en fonction de la taille des stades (autour de 25% de la capacité). Dans tous les cas, entre un peu de public et pas du tout, Pierre Wantiez, lui, n'hésite pas une seule seconde.

"Est-ce qu'on a calculé ce que le football rapporte en contribution, en charges et en impôts ? c'est monstrueux"

"Bien sûr qu'on gagne moins d'argent avec 5 000 spectateurs qu'avec 10 000 mais ça amortit quand même une large partie de nos frais fixes". A commencer par le loyer du Stade Océane. Au Stade Malherbe, le temps du confinement, le premier comme le second, la Ville de Caen a suspendu celui de d'Ornano. "Et puis, il y a de la vie dans le stade. On a l'impression de jouer pour quelque chose (lire La décla ci-dessous)", ajoute le DG du HAC. Conséquence de la mise en place de ces huis clos, les clubs tournent au ralenti et ont de nouveau, comme au printemps, fait appel au chômage partiel(2).

"Les deux tiers de nos salariés y sont", révèle le dirigeant havrais. "Tout ce qui touche à l'organisation des matches est extrêmement réduit voire fermé : les services billetterie, commercial, événementiel, réceptif…". Seuls les centres de formation, autorisés à poursuivre leur activité, la partie financière et quelques services généraux continuent de travailler. Ces huis clos ont également un impact sur l'économie locale. "On fait bosser des traiteurs, des étudiants le week-end…", souligne Pierre Wantiez qui rappelle le poids du football dans les finances nationales. "Est-ce qu'on a calculé ce que le football rapporte en contributions, en charges et en impôts ? C'est monstrueux".

(2)Avec le dispositif de chômage partiel, chaque salarié perçoit 70% de sa rémunération brute et 84% de sa rémunération nette. L'Etat s'engageant à rembourser les sommes versées par les entreprises dans la limite de 4,5 fois le Smic ; soit 6 900 € brut par mois (5 400 € net). Charge aux patrons de régler la différence si les émoluments de leurs employés dépassent ce plafond.

Un impact considérable sur le marché des transferts

A l'issue du dernier mercato, les dirigeants havrais ont été sévèrement critiqués par les fans « Ciel et Marine ». "Je comprends les supporters, ils veulent toujours des nouvelles recrues. On a tous envie d'une meilleure équipe, une plus grande attractivité", lance Pierre Wantiez. Mais au-delà d'avoir été prudent, l'Etat-major du HAC a surtout anticipé les conséquences financières de cette crise sanitaire. "Clairement, on fait partie des clubs qui ont procédé à un mixte. On a maintenu notre ambition sportive en bâtissant une équipe compétitive sans faire n'importe quoi sur le marché des transferts ni sur la politique salariale au risque de devoir supporter un fardeau économique", explique le DG du club doyen.

En France, le HAC est loin d'être le seul dans ce cas. Le montant cumulé des transferts dans notre pays ayant été divisé par deux en l'espace d'un an (1,330 milliard d'euros à 750 M€). "C'est juste du bon sens. On ne devrait même pas avoir à l'expliquer tellement c'est logique". Pourtant, de nombreux joueurs ainsi que leur entourage n'en ont visiblement pas pris conscience. "On a entendu des sommes sur certains dossiers qu'on n'aurait jamais mis dans ce contexte. Si d'autres clubs sont prêts à leur donner, les joueurs ont raison de les prendre. Mais il y a des niveaux de surenchères sur lesquelles on ne va pas". On peut le comprendre.

"Le foot permet de maintenir un lien social"

Au-delà de l'aspect économique, Pierre Wantiez n'a pas manqué de souligner le rôle sociétal du football dans cette période si particulière. "Un aspect qu'on sous-estime à mon avis", estime le DG du HAC. "Peut-être que certains considèrent que dans ces conditions, mieux vaudrait ne pas jouer. Je pense totalement l'inverse. Même si elle est très atténuée, la poursuite des championnats permet de maintenir un lien social avec ceux qui nous suivent. Bien que ça n'ait rien de comparable avec une configuration normale, les gens qui sont venus au stade pendant cette période étaient contents. Pour avoir échangé avec des personnes qui ne sont pas fans de foot, même elles me disent que c'est une bonne chose. « C'est bien, au moins une activité qui continue »".

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