Lorsque l’on s'arrête sur le classement du Havre, on serait tenté de dire que les hommes de Paul Le Guen construisent leur bon parcours avant tout à partir d’une solide défense (la meilleure avec seulement cinq buts encaissés) tandis que les performances de son attaque peuvent être qualifiées de poussives. "Le football est caractérisé par l'immédiateté du passage du rôle d'attaquant à celui de défenseur", selon Jean-François Gréhaigne, docteur en Sciences et technique des activités physiques et sportives. Cette réversibilité des situations implique qu’il y a toujours une part de défense dans l'attaque et inversement. Le football est un sport complexe car fait d’espaces, de vitesse et de mouvements. Analyser les performances d’une équipe l’est tout autant. Alors, les « Ciel et Marine » possèdent-ils une défense solide et une attaque peu prolifique ? L’étude de la réussite du HAC dans la surface de réparation adverse et dans la sienne nous livre certaines réponses.
Porté par Quentin Cornette, une efficacité redoutable sur phases arrêtées
Avec 11 réalisations inscrites en autant de journées, le HAC dispose de la 13e attaque de Ligue 2. Dans un projet de jeu qui fait la part belle aux transitions (seulement 20 attaques placées par match), les coéquipiers de Victor Lekhal tirent très rarement au but. Le collectif de Paul Le Guen peine clairement à se créer des occasions dangereuses dans le jeu : seulement 7,7 tirs par match, avant-dernier de Ligue 2 dans ce classement spécifique. La production offensive de l’équipe seinomarine est famélique. Peu de ballons touchés dans les 16,50 mètres adverses, peu de centres, peu de passes… A l’énumération de tous ces chiffres, la quatrième place des « Ciel et Marine » interpelle. On peut considérer le club doyen proche du surrégime.
Référencement des tirs du HAC sur ses cinq derniers matches de championnat.
Pour expliquer son début de saison, son efficacité dans le dernier tiers du terrain et notamment sur phases arrêtées est un élément fondamental. Sur les 11 buts marqués, 45% l’ont été suite à des coups de pied arrêtés : deux sur corners, deux autres sur coups francs directs et un sur penalty. Un homme symbolise cet état de grâce : Quentin Cornette. Avec quatre réalisations pour 1,9 xG (expected goal*) et deux passes décisives, sur corners, l’ex-Amiénois (27 ans) signe, pour le moment, son championnat le plus prolifique. Il faut remonter à ses débuts avec la réserve montpelliéraine (en CFA2 à l’époque) pour trouver une trace de meilleures statistiques. La justesse de son pied droit n’y est pas étrangère. Qu’adviendra-t-il le jour où cette efficacité sera en baisse ? Si aucun autre secteur de jeu n’assure le relai, le classement du Havre chutera indubitablement.
*Nombre de buts attendus par match au regard du nombre et de la qualité des occasions obtenues.
Référencement des coups de pied arrêtés du HAC sur ses cinq derniers matches de championnat.
Yahia Fofana, le facteur X de la défense
A l’inverse, dans sa propre surface, le HAC affiche une solidité inégalée. Les partenaires de Victor Lekhal ne sont allés chercher qu’à cinq reprises le ballon au fond de leurs filets alors que les expected goals estiment à 9,99 le nombre de buts encaissés attendus, soit un écart favorable de 4,99 en 11 journées ! Sevré de recrues pour raisons économiques essentiellement, Paul Le Guen a lancé plusieurs jeunes issus de La Cavée Verte cette saison. Et depuis la blessure à l’épaule cet été de Mathieu Gorgelin, l’habituel n°1 (désormais parfaitement apte), Yahia Fofana (21 ans) - qui n’a pas manqué une seule minute depuis le coup d’envoi du championnat - prouve qu’il est plus qu’une simple doublure. Dans le même laps de temps, la défense normande, la plus imperméable de L2, s’est transformée. Difficile de ne pas établir une corrélation entre l’émergence du jeune portier et la solidité de l’arrière-garde « Ciel et Marine ».
D’ailleurs, alors que Yahia Fofana se trouve en fin de contrat en juin 2022, des écuries plus huppées sont déjà à l’affût. Il faut dire que ses statistiques sont impressionnantes. En effet, le n°30 du HAC est actuellement le gardien d’Europe (parmi les 94 ayant disputé plus de 700’ dans les championnats du big 5, L1 et L2 confondues) qui :
> concède le moins de buts : 0,42 par match
> a le taux d’arrêt le plus important : 85,3%
> a réalisé le plus de clean sheets : 7
Analyse statistique des 11 premières journées de Ligue 2 de Yahia Fofana.
Toutefois, il convient de signaler que plus on recule sur le terrain, plus les données statistiques disponibles sont moins adaptées pour apprécier les performances d’un joueur. Juger un ultime rempart selon ses stats est improductif. Que demande-t-on à un gardien ? Qu’il soit un leader, calme sous la pression et doté d'un esprit très résilient. Il doit dégager une présence, prendre de la place, être un bon communiquant… Quelle(s) donnée(s) chiffrée(s) permet de juger ces compétences ? Aucune. Aujourd’hui, les organismes spécialisés comme Stats Perform (propriétaire d’Opta) ne fournissent, pour ce poste, que des data nous renseignant sur des évènements exécutés avec ballon, et ces dernières se révèlent donc insuffisantes.
En attendant d'avoir des données plus pertinentes, les excellents chiffres de Yahia Fofana sont bien entendu à contextualiser avec la dangerosité des tirs subis et leur quantité. En effet, toutes les frappes ne se valent pas : en fonction de la distance, de l’angle, de la situation… Un arrêt sur une frappe A n’équivaut pas, qualitativement, à un arrêt sur une frappe B. Ainsi, on remarque que la dangerosité des tirs subis par le portier havrais est extrêmement faible : 0,22 xG/tir, c’est-à-dire 0,22 but attendu par tir. Il se classe au cinquième percentile parmi les 94 gardiens de l’échantillon cité ci-dessus. Concrètement, Yahia Fofana a stoppé des tirs moins dangereux que 95% de ses homologues.
Néanmoins, si l’ex-n°2 dans la hiérarchie « Ciel et Marine » subit des situations peu dangereuses, c’est aussi parce que ses partenaires, par leur manière de défendre, contraignent leurs adversaires à tenter leur chance dans des positions peu favorables. Un véritable travail collectif. Un exploit quand on tient le ballon seulement 40,5% du temps, soit la plus faible possession de L2. Alors que son équipe est le plus souvent regroupée dans camp, dans un schéma en 4-4-2 ou 4-5-1, et qu’elle ne pratique pas un pressing très haut sur le terrain (13,3 de PPDA, passes permises par actions défensives dans le camp adverses), Paul Le Guen mise surtout sur la discipline de ses joueurs sans ballon pour performer avec des milieux de terrains assez proches les uns des autres et fermant l’intérieur du jeu. Sur les cinq dernières saisons de Ligue 2, seuls deux clubs sont montés en L1 avec une possession aussi faible : le Strasbourg de Thierry Laurey en 2016-17 et le Reims de David Guion en 2017-18. De quoi peut-être donner des idées aux Havrais.
> L2. J12 - SM Caen (12e - 14 points) / Le Havre (4e - 20 points), samedi 16 octobre à 19 heures à d'Ornano.