Fin janvier, 3e journée de la deuxième phase du championnat régional U18F, le Stade Malherbe inflige une correction à Evreux : 10-0. Un exemple parmi tant d’autres du manque d’homogénéité du football féminin, que ce soit sur le plan national ou mondial. Pour preuve, le large succès des Bleues de Corinne Diacre, mercredi soir, en ouverture du Tournoi de France, aux dépens de la Finlande (5-0), pourtant 28e nation au classement FIFA. Ces scores fleuves ne satisfont personne, ni l’équipe qui s’incline bien entendu, ni celle qui l’emporte. "La compétition, c’est ce qu’il y a de plus révélateur. Mais quand tu gagnes deux ou trois zéro au bout de trois minutes, ce n’est pas évident de mettre en place ce que tu as travaillé dans la semaine. Après, le point positif, c’est que nos joueuses maintiennent un niveau d’exigence pour marquer le maximum de buts. Ça nous a valu quelques critiques, notamment en seniors. On nous a demandé d’évoluer à dix, avec seulement deux touches de balle… Nous, on considère que c’est ainsi qu’on respecte nos adversaires plutôt que de s’arrêter de jouer", souligne Anaïs Bounouar, la responsable technique de la section féminine des « Rouge et Bleu ».
Ce problème n’est pas spécifique au SMC. Toutes les structures qui ambitionnent de tutoyer le haut niveau, comme le HAC également, y sont confrontées (lire encadré ci-dessous). Car si, chez les filles, le football de masse s’est considérablement développé ces dernières années dans notre pays, sous l’impulsion, entre autres, de la politique fédérale (rares sont les clubs, aujourd’hui, à ne pas disposer, au moins, d’une équipe féminine), l’élite, elle, accuse encore clairement du retard. "On s’est posé la question de savoir comment développer nos jeunes joueuses pour qu’elles soient prêtes le jour où elles fréquenteront le niveau national, en U18* ou chez les seniors", expose l’entraîneure normande qui s’est fixée, avec le président Olivier Pickeu, l’objectif d’accéder en D2 d’ici 2024.
Pour faire progresser ses équipes, Anaïs Bounouar a alors décidé de les aligner dans des championnats… masculins ! Ainsi, pour cet exercice 2021-2022, les U11, les U13 et les U16 Féminines évoluent en mixité ; un processus qui n’est pas autorisé en U18 à cause d’une trop grande différence athlétique à cet âge entre les filles et les garçons. D’ailleurs, il a fallu un peu bousculer les instances pour que cette démarche aboutisse. "Il y a deux saisons, on avait déjà fait la demande pour nos U13. Contre des joueuses de leur catégorie, elles s’étaient imposées sur des scores assez larges durant la première phase. En janvier, on avait voulu qu’elles affrontent des garçons mais ça nous avait été refusé pour une histoire de règlement", rappelle la coache du Stade Malherbe. Depuis, la jurisprudence FC Nantes est passée par là. "Avec l’émergence de plus en plus de projets de haut niveau, les règlements ont évolué. A un moment, il faut aussi penser à l’élite".
Des matches amicaux contre des U14-U15 pour les seniors
Surtout que la mixité est loin de constituer une nouveauté. "J’ai joué contre des garçons, j’ai cette éducation", annonce Anaïs Bounouar du haut de ses 31 ans. Cette saison, celle qui se trouve également à la tête de l’équipe fanion en R1 a poussé sa réflexion encore plus loin en y englobant les U16 ; les protégées d’Emilie Giffaut ayant été intégrées à la poule A du championnat U15 du Calvados. "C’est une première dans cette catégorie. J’y tenais absolument". Et les retours sont plus que prometteurs.
"Que ce soit techniquement, tactiquement ou sur le plan du contenu, on n’a rien à envier aux garçons. Bien sûr, sur l’aspect physique, on est parfois en difficulté. Mais c’est ce qu’on recherchait. Avec mon staff, on est très contents de l’évolution des joueuses. Maintenant, quand on rencontre des garçons, même s’ils sont plus grands, plus costauds, on a du répondant alors que la première année où on s’est lancé, on avait peur, on était un peu réticente", se félicite la responsable technique de la section féminine du SMC qui n’hésite pas à faire redescendre dans leur catégorie d’âge des U16 surclassées en U18, pour qu’elles soient confrontées à une adversité de leur niveau. Même si derrière, le retour à un football 100% féminin peut s’avérer un peu compliqué. "Ce sont deux footballs différents. Quand on récupère des joueuses de mixité, elles ont besoin de trois à cinq mois pour se mettre dans le bain".
Cette mixité concerne aussi les seniors. Pas en compétition officielle, car le règlement ne le permet pas, mais sur des matches amicaux. "On affronte des U14-U15, de Saint-Lô, Bouguébus, la Mos... Il y a une vraie intensité. On a essayé face aux U16 mais c’était trop solide physiquement". Pour Anaïs Bounouar, ces confrontations filles-garçons constituent également la plus belle promotion du football féminin. "Je crois qu’en termes d’ouverture d’esprit, c’est une bonne chose. Ça fait du bien à tout le monde. A chaque fois, on est tombés sur des groupes de garçons avec une très belle attitude". Dernier effet positif de ce mélange, les meilleures joueuses apprennent… à perdre ! "Depuis trois ans que notre section existe, certaines filles n’ont pas beaucoup connu la défaite. Du coup, elles ont une relation difficile à l’échec". Un problème auquel les nouvelles générations ne sont pas confrontées. Preuve que cette mixité a plus d’un atout pour séduire.
*En U18, l’accession au championnat national a été rendue impossible ces deux dernières saisons à cause de la crise sanitaire ; les compétitions régionales n’allant pas à leur terme.
Au HAC aussi, on pratique la mixité
En Normandie, la mixité n’est pas l’apanage du Stade Malherbe. Le voisin havrais, porte-drapeau du football féminin dans la région avec notamment une équipe première en D2 cette saison, la pratique aussi, mais sous une forme légèrement différente. Au HAC, aucune formation ne fréquente un championnat masculin. "Mais les petites de l’école de foot, les U8-U9, ont basculé avec les U6-U7 garçons pour les entraînements", indique Laure Lepailleur, la manager générale de la section féminine des « Ciel et Marine ».
Une démarche qui se répète de manière individuelle sur les catégories d’âges supérieures. "Quand on a une fille qui est dotée d’un bon potentiel, on lui propose de s’entraîner avec les garçons. L’idée, c’est de trouver des niveaux de jeu qui correspondent à chaque joueuse", poursuit l’ex-internationale française dont le club a recruté deux espoirs de la région cet été : Jeanne Dumets et Alice Mallard-Ventura. "Elles sont au pôle de Liévin (Pas-de-Calais). Désormais, elles sont U17 mais la saison dernière, elles jouaient en mixité avec leurs anciennes équipes (respectivement Dieppe et Bois-Guillaume)".