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Chloé Charlot (SM Caen) : "La légitimité, elle va s'acquérir en gagnant des matches"

Pour les grands débuts de la section féminine du Stade Malherbe en D3, dimanche, Chloé Charlot s'assoira pour la première fois sur le banc de l'équipe première. ©Damien Deslandes

A quelques jours du coup d'envoi du championnat de D3, quel état d'esprit vous anime ?

"Après sept semaines de préparation, j'ai hâte de commencer, de se jauger par rapport à ce niveau D3, de savoir comment on va se situer par rapport à nos premiers adversaires. Avant le début du championnat, il est difficile d'établir une hiérarchie. On démarre chez nous, devant notre public, sur un terrain emblématique du club... On ne peut pas rêver mieux. Ça doit nous apporter ce supplément d'âme. Venoix, que ce soit pour les garçons ou pour les filles, ça représente beaucoup pour le Stade Malherbe. On a à cœur de réaliser une bonne entame afin de montrer une belle image de notre équipe devant nos supporters, peu importe les difficultés rencontrées. Sur ce point, je serai intransigeante".

"Comme les joueuses ont perdu l'habitude des règles de base, elles ne comprennent pas pourquoi elles doivent le faire. Parfois, ça râle mais je fais la sourde"

Quand on est promu dans cette division mais qu'on défend dans le même temps les couleurs du Stade Malherbe, quel(s) objectif(s) poursuit-on ?

"Avant tout, la priorité, en prenant en compte leur bien-être et leur équilibre, c'est que les joueuses prennent du plaisir. C'est vraiment important. C'est pourquoi on a voulu garder tout le monde au sein de l'effectif. On a voulu permettre à celles qui avaient décroché cette montée de vivre une saison en D3. Durant la prépa, j’ai voulu que l’ensemble des joueuses soit considéré, que tout le monde ressorte avec le même temps de jeu. Ainsi, mes choix seront justifiés. Les joueuses qui sont parties (Emilie Giffault et Tracy Nkodia au Mans, en D2) ? C'est de leur propre chef*. Sur un plan purement sportif, on veut aller chercher ce maintien (trois descentes sur une poule de 12), voire si possible une place dans le milieu de tableau pour préparer dans les meilleures conditions la saison suivante".

Qu'est-ce que cette accession en D3 a changé dans le quotidien des joueuses ?

"Le niveau d'exigence qu'on impose dans les séances. Depuis le début de la prépa, on essaye de remettre des règles en place, des règles de base mais qui avaient disparu la saison dernière : venir une demi-heure plus tôt pour faire leur renfo, remplir les questionnaires post-séances, prendre sa douche au stade tout de suite après la séance afin de favoriser la récupération plutôt que d'attendre de rentrer à la maison deux heures plus tard... Comme les joueuses ont perdu ces habitudes, elles ne comprennent pas pourquoi elles doivent faire tout ça. Parfois, ça râle mais je fais la sourde (sourire). Avec le temps, elles verront que c'est bénéfique pour leurs performances. Par ailleurs, on ne peut plus se permettre d'avoir des absentes sur les séances ; ce qui pouvait se produire dans le passé en fonction du travail des joueuses à côté. D'ailleurs, si on devait changer une chose pour faire franchir un cap à la section, ça concernerait l'aménagement de l'emploi du temps des filles. L'idéal serait de se dégager des créneaux pour pouvoir s'entraîner le matin. Là, on est en train de voir si on ne peut pas caler une séance le midi pour en enlever une le soir afin que les joueuses aient aussi du temps pour elles (quatre entraînements hebdomadaire figurent au programme, du mardi au vendredi sachant que le lundi, les coéquipières de Tatiana Bourdon ont accès à des soins comme des bains froids)".

*L'entretien a été réalisé avant l'interview de Margaux Huaumé-Danet chez nos confrères de Sport à Caen où elle explique qu'elle a été évincée du projet féminin du Stade Malherbe.

Pour transmettre le message que la section féminine comptait énormément aux yeux des dirigeants caennais (ici, le co-propriétaire Pierre-Antoine Capton et le président Olivier Pickeu), Chloé Charlot a été officiellement intronisée dans ses nouvelles fonctions le même jour que la présentation de Jean-Marc Furlan à la tête de l'équipe professionnelle masculine. ©Damien Deslandes.

Avant de démarrer cette saison de D3, existe-t-il une part d'inconnu ?

"L'inconnu réside dans le budget que nos adversaires consacrent à leur section féminine. Est-ce que ces budgets peuvent avoir un impact sur les résultats sportifs ? Sachant qu'à Malherbe, on a décidé de ne pas rétribuer nos joueuses, sous aucune forme (ni prime, ni défraiement). De toute façon, l'équipe première de la section fait partie de la SA (Société anonyme) ; ce qui signifie que pour payer les joueuses ou même leur verser des primes, il faudrait qu'elles signent un contrat".

"En R1, c'était presque devenu une routine de gagner. on doit apprécier chaque victoire à sa juste valeur"

Comment s’est déroulée la prise en mains de votre groupe ?

"Avant la reprise de l'entraînement, j’ai appelé toutes les joueuses. J’ai été dans l’échange. Je voulais prendre la température de chacune ; quelles étaient leurs attentes vis-à-vis du foot, du projet avec le Stade Malherbe… Ces échanges ont permis de lancer ma prépa, de présenter ma manière de fonctionner. Je suis beaucoup dans l’échange, je questionne beaucoup même si parfois, je suis un peu plus directive. On a refait des entretiens individuels à la fin de la prépa pour fixer les objectifs, leurs ressentis".

Depuis sa création en 2019, l'équipe première de la section féminine du SMC a pris l'habitude de gagner chaque week-end, ou presque. Face à un niveau d'adversité qu'on peut imaginer bien plus relevé, est-ce que vos joueuses vont devoir « apprendre à perdre » ?

"Le moins possible, on l'espère (sourire). Mais, à un moment ou à un autre, la défaite va arriver. Et il va falloir savoir la gérer. D'ailleurs, durant notre prépa, on a toujours perdu (à l'exception du dernier match contre la réserve de Lens avec une victoire 3-0). Paradoxalement, ça me plaît. Forcément, après ces défaites, les filles n'avaient pas le sourire. Elles sont ressorties frustrées de ces matches. Cette situation doit nous redonner le goût de l'effort, l'envie de bien faire, la nécessité d'être concentrées sur chaque séquence... En R1, c'était presque devenu une routine de gagner. Aujourd'hui, on doit être en mesure d'apprécier chaque victoire à sa juste valeur. Je veux voir des joueuses heureuses de marquer un but, d'adresser une passe décisive, de déclencher un bon pressing..."

A la tête des U18 Féminines du Stade Malherbe ces deux dernières saisons avec, à la clé, une accession au niveau national au mois de mai, Chloé Charlot a déjà dirigé plusieurs de ses joueuses actuelles en compétition à l'image de Zina Catherine. ©Damien Deslandes

Pouvez-nous nous éclairer sur les circonstances qui ont conduit à votre promotion ?

"On a eu des discussions avec Olivier Linot (le « manager » de la section féminine). Il m'imaginait à ce poste. Il en a parlé au président (Olivier Pickeu). En parallèle, de nombreux noms sont sortis (Johan Gallon et Frank Dechaume notamment). Je suis restée volontairement en retrait car je ne souhaitais pas que mon nom sorte dans tous les sens. Je voulais restée focaliser sur ma saison et mon objectif de monter avec les U19. Tout ce que j'ai dit aux dirigeants, c'est que s'ils estimaient avoir un meilleur profil, ça ne me posait aucun problème de poursuivre avec les jeunes. Après, s'ils pensaient que j'étais prête, c'est avec plaisir que je répondrais favorablement à cette proposition. Moi, ce que je voulais éviter à tout prix, c'est de revivre une transition compliquée comme celle vécue après Anaïs (Bounouar, il y a un an). On a tendance à l'oublier mais avant Théodore (Genoux, son prédécesseur, qui avait été nommé seulement deux semaines avant la reprise du championnat), il y a eu Marine (Haupais, qui ne sera restée qu'une semaine !). Peu importe la personne choisie, on avait besoin d'un projet clair, établi et d'avancer sereinement".

"Sur un terrain, Je suis beaucoup plus affirmée, beaucoup plus exigeante avec des idées bien précises"

Est-ce que vous avez hésité avant d'accepter ce poste ?

"Pas tellement. Le seul aspect qui m'a fait réfléchir, c'est sur l'approche du groupe car j'ai été coéquipière avec plusieurs des joueuses de l'effectif (une demi-douzaine dont Hilde Van Herwijnen, Marion Laporte, Alizée Leroty...). Par contre, sur mon management, mes envies, ma vision du projet, je n'ai eu aucun doute, sachant que j'œuvrais déjà beaucoup pour la section dans son ensemble".

Vous venez d'y faire référence. L'une de vos particularités en tant qu'entraîneuse de cette équipe, c'est que vous avez été la partenaire de plusieurs de vos joueuses actuelles…

"Cette époque me paraît bien loin, très loin. J'ai l'impression que c'était dans une autre vie. Jouer ne me manque pas (victime d'une rupture des ligaments croisés du genou gauche en 2021, Chloé Charlot avait déjà subi une blessure similaire sur l'autre genou, trois ans auparavant). Même si j'ai connu de bons moments en tant que joueuse, je pense en avoir plein d'autres à vivre comme coache. Maintenant, pour revenir à la question, c'est vrai qu'avec plusieurs filles, on se connaît. Mais je pense les connaître plus qu'elles ne me connaissent car elles ne m'ont jamais pratiqué comme coach. J'ai un temps d'avance sur elles, je sais comment elles fonctionnent, ce qu'elles vont faire, où je veux les emmener... Certaines ne s'en rendent pas forcément compte. Qui plus est, sur un terrain, ma personnalité est un peu différente. Je suis beaucoup plus affirmée, beaucoup plus exigeante avec des idées bien précises alors qu'en dehors, je suis très calme, très posée. Je rassure tout le monde, je ne passe pas d'un extrême à un autre. Sur le banc, je suis capable de prendre du recul, d'être patiente".

Coéquipière d'une demi-douzaine de ses joueuses actuelles dans un passé récent, Chloé Charlot a souhaité imposer une barrière entre son groupe et elle. "Désormais, je suis leur coache et ce sont mes joueuses". ©Damien Deslandes

Au regard de votre passé en commun, vous êtes-vous sentie obligée d'imposer une barrière entre vos ex-coéquipières et vous ?

"Oui. A partir du moment où les discussions ont été entamées avec le président (Olivier Pickeu) et Olivier (Linot) sur la possibilité que je sois nommée à ce poste, j'ai très vite mis une barrière. Par exemple, beaucoup de filles m'appelaient Charlot quand j'étais sur le terrain (un diminutif hérité de sa période de joueuse). Aujourd'hui, même si je peux comprendre que ça revienne instinctivement, ce n'est plus possible. Désormais, je suis leur coache et sont mes joueuses. Mais elles savent faire la part des choses. Sur ce sujet, il n'y a aucun problème".

"Je vais en discuter avec celles qui ont émis des doutes. Mieux vaut crever l'abcès pour avancer toutes ensemble"

Compte tenu des CV des candidats qui postulaient, un certain scepticisme a accompagné votre nomination, de la part même de certaines de vos futures joueuses...

"Ces remarques me sont revenues aux oreilles par des biais indirectes. Je les ai entendues. Ce n'est pas agréable. Ça reste dans un coin de ma tête. Forcément, tu te demandes si tu as bien fait de reprendre le groupe. Après, je ne suis plus une gamine. De toute façon, plus il y a de critiques, plus ça me donne envie de travailler encore plus, de faire encore mieux. Maintenant, je vais en discuter avec celles qui ont émis des doutes. Mieux vaut crever l'abcès pour avancer toutes ensemble".

Vous sentez-vous légitime en tant qu'entraîneuse de la section féminine du Stade Malherbe ?

"On m'a nommé à ce poste. Le président (Olivier Pickeu) me fait confiance. La direction estime que j'en suis capable. Peut-être qu'aux yeux de certaines joueuses, je ne suis pas légitime actuellement mais je le serai un jour. Je n'ai pas de doute. Derrière, comme dans tous les métiers, il faut des résultats. La légitimité, elle va s'acquérir en gagnant des matches. Et quand il y aura des défaites, il faudra avoir la capacité de se remettre en question, de reconnaître ses erreurs, d'être dans l'échange... Ce sont des notions avec lesquelles je suis parfaitement en phase. J'ai toujours fonctionné ainsi. Ça ne me fait pas peur".

Au-delà de l'aspect sportif, Chloé Charlot aspire à ce que la section féminine du Stade Malherbe comporte un volet social. Cette démarche, la technicienne avait déjà entreprise la saison dernière avec les jeunes. ©Damien Deslandes

De quelle manière vous vous êtes construite en tant qu'entraîneuse ?

"Tout d'abord, il y a mon vécu en tant que joueuse et ça comprend ce que je n'ai pas envie de faire revivre à celles que j'entraîne aujourd'hui. J'ai été de l'autre côté, à commencer par ce projet, au Stade Malherbe. Je sais ce qui me plaisait et ce qui, à l'inverse, m'embêtait. Je suis très cérébral comme coache. Je suis beaucoup dans l'apport de consignes et de codes par le jeu. Mes séances, elles ne sont composées quasiment que par du jeu. J'essaye d'inclure un maximum d'inconnues pendant la semaine de travail car ainsi, je pense que c'est plus facile de s'y adapter le week-end, en match, quand on y est confronté. Avec les U18, la double confrontation contre Metz (en 2022) m'avait marqué car il y avait justement une inconnue avec ce contexte des barrages qu'on ne maîtrisait pas. Cette expérience nous avait manquées. La saison dernière, on a toujours travaillé avec, au moins, une inconnue dans la semaine, quelque chose d'inhabituelle, pour casser la routine, garder le cerveau en éveil. Je prends aussi en compte l'adversaire dans mes choix tactiques. C'est pourquoi dans mon recrutement, j'ai ciblé des joueuses, évoluant au même poste, capables de répondre à différentes problématiques".

Quel est votre rapport au football ? Est-ce que vous en consommez beaucoup en dehors de vos séances et de vos matches ?

"Je ne le cache pas, je vise le plus haut possible. Dans un coin de ma tête, j'ai l'ambition de coacher en D1"

"Je ne regarde pas spécialement les matches à ma TV le week-end. Je préfère m'ouvrir à d'autres sports, à de nouvelles tendances pour apporter des éléments extérieurs et éviter de s'enfermer dans le foot. Par exemple, j'apprécie énormément les valeurs que l'on retrouve dans le judo, un sport que j'ai pratiqué quand j'étais plus jeune. Avec les jeunes de la section, j'ai essayé d'inclure également un volet social. La saison dernière, on a rencontré un public de sport adapté (pour des personnes en situation de handicap mental et/ou psychique). Pendant la préparation, j'ai présenté à mon groupe une association qui envoie du matériel, des vêtements dans des pays défavorisés. Je veux que notre section comporte cet aspect social".

Comment envisagez-vous votre avenir dans ce métier ? Avez-vous l'ambition d'entraîner au plus haut niveau chez les féminines ? Des garçons ?

"Je ne suis pas quelqu'un qui est enfermé dans le foot féminin même si, aujourd'hui, je m'y sens très bien. Je ne le cache pas, je vise le plus haut possible. Dans un coin de ma tête, j'ai l'ambition de coacher en D1. J'ai aussi l'objectif de me former, de toujours apprendre. A court terme, mon objectif est de passer mon DES (diplôme permettant d'exercer jusqu'en N2 chez les hommes et jusqu'en D1, à ce jour, chez les féminines)".

> D3F. J1 - SM Caen / Châtellerault, dimanche 17 septembre à 15 heures au Stade de Venoix - Claude-Mercier.

Chloé Charlot

  • Née le 3 novembre 1998 (24 ans) à Valognes (Manche).
  • Ex-joueuse U19 nationales - D2. Responsable technique de la section féminine du Stade Malherbe et entraîneuse de l'équipe première (D3).
  • Son parcours en tant que joueuse : Carentan (jusqu'en 2012, en mixité avec les garçons), FC Saint-Lô (2012-2015, U18-senior), AG Caen (2015-2019, U19 nationales-D2), SM Caen (2019-2021, R2-R1).
  • Son parcours en tant que coache : Carentin (U11), AG Caen (U7 et U11 garçons, U13, U17 et U18 féminines), SM Caen (U18 R1).
  • Sous contrat jusqu'en 2025.
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