Jamais le Stade Malherbe n'avait réussi à attirer une joueuse d'un tel calibre depuis la création de la section en 2019. Arrivée l'été dernier en provenance de Metz (D2), Emmeline Mainguy (36 ans) a choisi sa ville natale pour terminer sa longue carrière au niveau professionnel. Avec 150 matchs en première division, un titre de championne de France, une Coupe de France et une demi-finale de Ligue des Champions, la gardienne, originaire du quartier de La Guérinière à Caen, a de quoi faire saliver ses coéquipières. La séduire n'a pas été si difficile à en croire sa coach, Chloé Charlot. "Je ne lui ai pas vendu de rêve. Emmeline a toujours voulu revenir jouer dans sa région, proche de sa famille. C'était le bon moment". Les liens entre la maison « Rouge et Bleu » et la joueuse étaient noués depuis quelques mois, notamment par l'intermédiaire de Thomas Pouliquen, le préparateur physique de l'équipe. C'est lors de vacances passées en Normandie que la portière a eu le déclic, en rencontrant le staff. "Le football n'est plus ma priorité, mais jouer au foot devant ma mère, mes frères et sœurs, ça m'allait bien", explique-t-elle. "Le projet, c’était de finir ma carrière chez moi pour boucler la boucle".
Une boucle de vingt ans passés au haut niveau. De ses débuts à Ifs à l'âge de sept ans jusqu'à Metz en D2, Emmeline a, entre-temps, gravi les échelons à vitesse grand V. A seulement 16 ans, la gardienne caennaise avait rejoint le sport-études de Condé-sur-Noireau, à une époque où le club local connaissait ses heures de gloire en D1 (2002-2006). Puis, elle est passée par Clairefontaine lors de la saison 2006-2007 avant de s'engager avec l'ogre du football féminin français, l'Olympique Lyonnais (2007-2008). Après une expérience en Espagne, Emmeline Mainguy a trouvé un point de chute en Bretagne, pour évoluer en D1 à Guingamp (2011-2016). Dijon (2017-2020) et Fleury (2020-2022) ont suivi avant un passage par l'Italie, à Naples en 2020, puis deux années en Lorraine sous les couleurs « Grenats », de 2022 à 2024.
"C'était très compliqué, j'ai failli arrêter le foot (...) Il y avait trop de différences entre le niveau que j'attendais et la réalité"
Avec un tel CV, poser ses valises au Stade de Venoix, en D3 féminine, n'a pas été une mince affaire. Bien au contraire. L'adaptation du niveau professionnel au monde amateur a été un parcours semé d'embûches. "C'était très compliqué, j'ai failli arrêter le foot", pose d'emblée la n°1 des Malherbistes. "Elle a eu des coups de mou. C'était difficile de découvrir un niveau amateur", confirme Chloé Charlot. La technique, la tactique, la vitesse d’exécution, l'exigence dans les séances... Ce n'était plus le même monde. L'ancienne de l'OL a pris une claque. "Il y avait trop de différences entre le niveau que j'attendais et la réalité. J'ai redécouvert le foot passion", témoigne-t-elle sans manquer d'humilité. "Je n'ai jamais dit : « Je suis la joueuse pro, écoutez-moi », mais c'était compliqué car les filles avaient leurs routines et moi, je suis venue la casser".
Du haut de ses 36 ans, Emmeline Mainguy apporte toute son expérience à un collectif dont la moyenne d'âge ne dépasse pas les 23 ans. ©Damien Deslandes
Victime de deux commotions cérébrales la même année
En découvrant la D3, Emmeline Mainguy a forcément dû baisser son exigence personnelle. Elle a aussi découvert un nouveau rôle qu'elle n'avait jamais endossé jusqu'ici. Son parcours et son expérience l'ont naturellement obligée à s'imposer comme une leader, sur et en dehors du terrain. Pour son entraîneure, c'est un vrai plus, notamment dans un effectif où la moyenne d'âge ne dépasse pas les 23 ans. "Emmeline a pris la parole et ses messages ont impacté le groupe. Ça permet de libérer les jeunes", expose Chloé Charlot. "La contrepartie, c'est que tout le monde s'est appuyé sur elle. Elle s'est mis la pression de prendre ce rôle de leader à 200 %".
"Dès le lendemain, à chaque effort physique, j'avais la tête qui tournait (...) J'ai eu un mal de crâne que je n'avais jamais connu avant"
L'adaptation a duré trois mois. Une fois le groupe bien huilé, son passé dans le monde « pro » s'est avéré un atout à la fois pour le duo qu'elle forme avec Stéphania Turyk, la deuxième gardienne, dans les cages, et aussi avec l'ensemble de l'effectif. "Émeline forme et apporte énormément à Stéphania", indique la coach du SMC. "On souffrait d'un gros manque sur la culture tactique et Emmeline sait partager son analyse du jeu. C'est un excellent relais sur le terrain. Elle guide la ligne défensive". De son côté, la principale concernée a dû apprendre à gérer sa frustration. "J'ai appris la patience et la pédagogie. C'est sûr qu'on ne peut pas demander à des joueuses qui travaillent et qui sont à l’école d’avoir la même exigence qu'en D1".
Bien déterminée à aider le groupe à se maintenir en D3 en apportant son savoir-faire, Emmeline Mainguy n'oublie pas d'où elle vient. Chez les « Rouge et Bleu », on ne lui parle plus de contrat fédéral ou de prime de match, mais quitter le monde professionnel a aussi été un soulagement. En l'espace d'une année civile sous le maillot messin, la portière a été victime de deux commotions cérébrales. La première a eu lieu lors d'un entraînement. "Comme j'ai un jeu assez agressif, je n'ai pas peur de sortir dans les pieds. Je me suis pris un ballon dans la tête. Sauf que dès le lendemain, à chaque effort physique, j'avais la tête qui tournait", rapporte-t-elle. La seconde a eu lieu quelques mois plus tard lors d'un match contre Nice. "Sur un face-à-face, l'attaquante ne s'arrête pas et me percute. Je n'ai pas perdu connaissance, mais j'ai eu un mal de crâne que je n'avais jamais connu avant".
Avec un seul point d'avance sur le premier relégable, le voisin de QRM (10e), Emmeline Mainguy et ses partenaires (8e) abattent une carte importante dans l'optique du maintien en recevant la lanterne rouge angevine (12e). ©Damien Deslandes
Une saison 2007-2008 avec Lyon gravée à jamais
Plus que la douleur, Emmeline Mainguy regrette surtout le manque de considération et de vigilance sur les dangers des commotions cérébrales. S'il y a un an, un certain Raphaël Varane avait lancé une alerte pour une meilleure prise en charge de la part de la Fédération Française, la gardienne caennaise ne s'est pas sentie soutenue, ni par la FFF, ni par son club. "Ce que l’on ne voit pas avec les commotions, ce sont les blessures psychologiques et psychiques. Pendant plusieurs mois, dès que je voyais un ballon, j'étais tétanisée. De temps en temps, j'ai un mal de crâne aigu qui arrive. C'est comme si on m'enfonçait une aiguille dans le cerveau". Impossible de regarder la télévision ou de faire du sport au soleil, sa santé reste impactée au quotidien. "C'est pour cette raison que j’ai voulu m’éloigner du monde pro. Je ne voulais pas avoir des séquelles irréversibles à la fin de ma carrière".
Si son parcours n'a pas toujours été rose, comme en témoignent ses deux commotions cérébrales, Emmeline Mainguy retient plus de bons que de mauvais souvenirs. Parmi eux, il y a la saison 2007-2008 avec l'OL, à l'époque où les Laura Georges, Louisa Necib, Elodie Thomis et Amandine Henry étaient à l'apogée de leurs carrières. En une saison, elle a disputé huit matchs de D1 mais surtout six de Ligue des Champions, remporté une Coupe de France et disputé une demi-finale européenne. Les Lyonnaises avaient réussi leur premier exploit sur la scène continentale en battant Arsenal, tenantes du titre, en quarts de finale. "A seulement 19 ans, prendre un avion privé pour aller à Londres et jouer un quart de finale de Ligue des Champions, c’était fou". Cette même année, les « Fenottes » avaient décroché leur dixième titre de championnes de France.
"A seulement 19 ans, prendre un avion privé pour aller à Londres et jouer un quart de finale de Ligue des Champions, c'était fou"
Autre souvenir marquant : la montée en D1 avec Dijon. En 2018, le DFCO accédait pour la première fois de son histoire à l'élite du football féminin, huit ans après la création de la section féminine. "On avait un groupe extraordinaire avec notamment Alexandra Atamaniuk (aujourd'hui, capitaine de l'équipe de France de futsal) et Alexia Trevisan. Je me rappelle d'un match au Stade Gaston-Gérard contre Lyon, qui était un rouleau compresseur. On fait 0-0 devant 5 000 personnes, on avait l'impression qu'il y avait 50 000 spectateurs. On avait terminé sur les rotules. Je n'ai rarement pas perdu face à Lyon". Dans sa carrière, c'est à Guingamp qu'Emmeline Mainguy a connu son plus long passage. Forcément, les souvenirs restent indélébiles. Aux côtés des Griedge Mbock, Aminata Diallo, Faustine Robert, l'ex-gardienne de l'EAG a certainement vécu ses meilleurs moments hors du terrain. "Quand on partait à Montpellier, on faisait 12 heures de bus. J'ai appris de nombreux jeux de cartes !", sourit-elle. "La bataille corse, le Uno... J'ai eu de sacrés fous rires avec les filles dans les chambres, c'est indescriptible". Sans oublier l'exploit signé face au PSG en 2015. En 1/8e de finale de la Coupe de France, la gardienne et ses partenaires ont éliminé le club de la Capitale de Laure Boulleau, Kenza Dali ou encore Marie-Laure Delie à l'issue de la séance de tirs au but (1-1, 7-6 tab). Emmeline Mainguy avait arrêté la première tentative parisienne. "C'était dingue ! Entre mes 20 et 25 ans, c'étaient mes plus belles années !" En espérant que sa fin de carrière sous les couleurs « Rouge et Bleu » remplisse aussi sa boîte à souvenirs...
> D3F. J16 - SM Caen (8e - 17 points) / Croix Blanche Angers (12e - 9 points), dimanche 30 mars à 15 heures au Stade de Venoix - Claude-Mercier.
Léa Quinio