Comme on pouvait le supputer, la succession, non prévue et donc non anticipée, d’Anaïs Bounouar l’été dernier n’allait pas se révéler une chose aisée. Il faut dire que celle qui officie désormais à la tête des U17 nationaux du FC Lorient incarnait la section féminine du Stade Malherbe depuis sa création, en 2019. Après le faux bond de Marine Haupais qui ne sera restée en poste qu’une poignée de jours, cette tâche est revenue à Théodore Genoux. Et on ne va pas se mentir, la saison de ce jeune technicien (30 ans) avec les « Rouge et Bleu » ne ressemble en rien à un long fleuve tranquille. "Ce n'est pas facile tous les jours", ne cache pas celui qui a laissé femme et enfant à Barcelone pour diriger le SMC. Pour sa défense, le timing de sa nomination (seulement deux semaines avant la 1re journée de championnat) n’a pas plaidé en sa faveur. Tout comme l'absence de recrutement (seules la gardienne Lou Nehlig et la milieu Adama Fall ont débarqué alors que de nombreux départs ont été enregistrés).
Par moments, on ressent comme un décalage entre l’exigence de cet entraîneur, issu du monde « pro », et un effectif 100% amateur (ni fixe, ni dédommagement kilométrique, ni prime). Un exemple parmi tant d'autres concerne les repas. "Quand je suis arrivé, j'ai vu des filles manger des sandwiches dans le bus le jour d'un match. Ça m'a un peu énervé car tu anéantis le travail de la semaine", rapporte le futur ex-entraîneur caennais qui a instauré des déjeuners en commun pour les rencontres à domicile. "Dans mes précédents clubs, il n'y a aucune fille qui osait manger une chips devant moi, car elle savait qu'elle allait se faire démonter".
Fort d’une longue expérience dans le haut niveau chez les filles (montée en D1 avec Bordeaux en 2016, une saison en première division avec Albi en 2017-2018, qualification en finale de la Coupe de France avec Yzeure en 2022), le coach du SMC s’appuie sur un style de jeu qui tranche radicalement avec celui de sa prédécesseure. Alors qu’Anaïs Bounouar avait mis en place une animation offensive basée sur la possession, Théodore Genoux est un adepte des phases de transitions, impliquant énormément de verticalité. "Dans le football féminin, il y a un déficit de vitesse et de gestion de la profondeur. Si tu utilises bien ces transitions, tu peux vite arriver à faire mal à haut niveau", analyse-t-il. Mais ce changement de style de jeu a perturbé des joueuses qui affectionnaient de toucher beaucoup de ballons, notamment au milieu de terrain, qui plus est en R1 ; une division où elles sont censées posséder une maîtrise technique largement supérieure à la moyenne. Conséquence, certaines filles ne cachent pas leur manque de plaisir de jouer cette saison, que ce soit à l'entraînement ou en match.
Le ton est monté avec les cadres lors d'une réunion
Son management, assez distant vis-à-vis de son groupe, a également interpellé les coéquipières de Tatiana Bastard, pas habituées à ce mode de gestion du vestiaire du temps d'Anaïs Bounouar. Ce relationnel avec « ses filles » (ou plutôt cette absence de), qu’on pourrait qualifier de « froid » pour ne pas dire plus, Théodore Genoux l’assume. "Je ne suis pas leur pote. Les filles ont été surprises que je ne fasse pas le cri de guerre avec elles dans le vestiaire. Mais je considère que ce n'est pas ma place, c'est leur moment à elles. Je ne me vois pas faire la fête avec les filles après chaque victoire. On le fera en cas de montée", lance celui qui n'est pas là pour faire du sentimentalisme. "Je peux décider de laisser une fille sur le banc sans lui expliquer car c'est ça le haut niveau. Parfois, tu prends une claque dans la gueule. Le coach ne va pas venir dans ta chambre pour expliquer chacun de ses choix". Autant dire que ce mode de fonctionnement a provoqué "des remous", comme le qualifie le technicien. "Quand vous changez les habitudes des gens, il peut y avoir une forme d'incompréhension".
Des Caennaises qui sur quelques matches, notamment au début de l’année 2023, ont paru émoussées physiquement. Le moins que l’on puisse affirmer, c’est que ce n’est pas la faute à un manque d’entraînement. C’est bien simple, à l’exception du lundi, Emilie Giffaut, Juliette Chotard, Alizée Leroty et leurs partenaires sont tous les jours de la semaine sur le terrain, le jeudi est même doublé (le créneau du midi est optionnel) sans compter les séances vidéos. Un rythme difficile (impossible ?) à tenir, surtout pour celles qui ont un emploi en parallèle. Parfois, de l’extérieur, on a comme le sentiment qu’on en demande trop à ces joueuses du Stade Malherbe.
"Je ne suis pas venu pour entraîner en R1 mais pour préparer l'avenir, pour montrer ce qui se passe au-dessus", se défend Théodore Genoux, isolé au sein de son staff. "Quand les filles seront en D3, il ne faut pas qu'elles aient un temps d'adaptation". Ce problème, les dirigeants normands en ont conscience. A tel point que le sujet a été débattu lors d’une réunion, rassemblant toutes les parties, il y a quelques semaines. Et le ton est monté. Pour désamorcer cette relation conflictuelle avec certaines de ses cadres, le technicien a accepté quelques concessions. "Le coach va ajuster le programme pour les filles qui bossent à côté", annonce Olivier Linot, le bras droit du président Olivier Pickeu en ce qui concerne la section féminine. Reste à savoir comment les « Rouge et Bleu » s’organiseront en cas de montée en D3, avec, qui plus est, des déplacements sur la moitié de la France un week-end sur deux ? "Sportif de haut niveau, ce sont beaucoup de sacrifices. Pendant dix mois, c'est foot, foot, foot... Il faudra encore augmenter le degré d'exigence, surveiller son alimentation, son sommeil..." En attendant, il y a une saison à finir avec un rendez-vous capital qui se dessine face à QRM, le 7 mai à Lozai. Le vainqueur de cette confrontation assurera son accession à l'étage supérieur. A l'heure de dresser le bilan de cet exercice 2022-2023, on reparlera peut-être de cette fameuse réunion. Depuis qu’elle s’est tenue, toutes les parties interrogées s’accordent à dire que les relations se sont apaisées entre Théodore Genoux et ses joueuses. Pas au point, cependant, de le faire prolonger son aventure en Normandie.