"Il y aura toujours du foot pro après cette crise sanitaire. Maintenant, est-ce que ce sera le même qu'avant ?". Dans le précédent numéro de notre magazine (n°27), Pierre Wantier, le directeur général du HAC, s'interrogeait sur l'avenir du ballon rond ; une discipline, comme beaucoup d'autres (pour ne pas dire toutes), frappée de plein fouet par cette pandémie de Covid-19. Suite aux annonces d'Edouard Philippe, ce mardi après-midi, devant l'Assemblée nationale, ce questionnement est plus que jamais d'actualité. Alors qu'il dévoilait son plan de déconfinement, le Premier ministre a sifflé la fin des championnats de Ligue 1, Ligue 2, National 1 et D1 féminine, les seuls qui n'avaient pas encore été totalement arrêtés.
"La saison 2019-2020 de sport professionnel dont celle de football ne pourra pas reprendre", a lâché l'ancien (et futur ?) Maire du Havre. Avant d'ajouter : "Il ne sera pas possible de pratiquer du sport dans des lieux couverts, ni des sports collectifs ou de contacts (...) Les grandes manifestations, réunissant plus de 5 000 participants, ne pourront pas se tenir avant septembre (...) Les rassemblements organisés sur la voie publique ou dans des lieux privés seront limités à dix personnes".
Des déclarations que certains acteurs du football français ont vécu tel un crochet reçu en plein dans le foie. "C'est violent", ne cache pas Fabrice Clément encore KO quelques minutes après la prise de parole d'Edouard Philippe. "Avec cette date du 11 mai (celle annoncée par le Président de la République, Emmanuel Macron, il y a deux semaines, pour débuter le déconfinement), on apercevait une éclaircie au bout du tunnel. Et là, on se reprend une porte dans le nez. Aujourd'hui, on ne sait plus rien. On est devant une grande inconnue. Les clubs de foot sont remis au placard", confie, comme désorienté, le président du Stade Malherbe dont la première année d'exercice n'aura vraiment pas été de tout repos.
Des clubs en danger sur le plan économique
Une annonce d'autant plus violente que beaucoup de clubs avaient commencé à se projeter sur la suite. "On avait tout préparé pour une reprise de l'entraînement à la mi-mai", explique Fabrice Clément. "Sous la direction de Yohan Eudeline (le directeur sportif), le secteur sportif avait élaboré un plan". Un plan qui tenait compte, bien évidemment, des mesures à respecter au niveau sanitaire "avec plusieurs terrains, une demi-douzaine de vestiaires, un staff élargi avec de nombreux kinés et des petits groupes de joueurs déjà constitués".
Le foot pro sait, désormais, qu'il ne pourra pas renouer avec les stades avant plusieurs mois. "En septembre, si tout va bien mais rien ne le garantit", croise les doigts le président du SMC. A moins d'un retour anticipé à huis-clos en août guère réjouissante. Alors que de nombreuses zones d'ombre sur le plan sportif restent à clarifier (avec le classement, les places européennes, les montées, les descentes), comment les clubs vont survivre économiquement le temps que le coup d'envoi des compétitions soit (re)donné ?
Bien que privés de l'ensemble de leurs revenus (billetterie, prestations hospitalités, droits TV(1)...), les clubs doivent faire face à des charges toujours aussi colossales, notamment avec les masses salariales(2). Et ce ne sont pas les reports de charges patronales ou l'accord avec l'UNFP sur le décalage (et non la diminution) des salaires des joueurs pour le mois d'avril qui va solutionner ce problème. Sans compter qu'on voit mal avec ces incertitudes comment construire un mercato ou lancer une campagne d'abonnements ? Sachant qu'il faudra peut-être déjà rembourser une partie du précédent. Avec cette crise, c'est tout un modèle qui est en péril. Contrairement à ce que les mauvaises langues aiment à répéter, un club « pro » ne se résume pas à 11 joueurs qui courent derrière un ballon. Derrière, se cache une entreprise avec de nombreux salariés (+ de 150 rien qu'au Stade Malherbe) qui génère tout un écosystème avec une multitude de sous-traitants opérant les soirs de match (sécurité, hôtesse, traiteur...). "On n'est pas à l'abri d'une vraie catastrophe économique", avait prévenu Pierre Wantiez. On pourrait y aller tout droit.
(1)S'ils ont accepté de régler une partie de leurs échéances non réglées (environ 45 M€), bénéficiant au passage d'une réduction de quelques millions d'euros, Canal + et beIN Sports doivent encore s'acquitter, selon leur contrat, de 250 M€ d'ici le 30 juin. Difficile de croire qu'ils vont les verser alors que plus aucun match ne sera disputé cette saison. D'autant plus qu'à partir du prochain exercice (2020-2021), le groupe espagnol Mediapro prendra le relais en retransmettant huit des dix affiches de L1 et L2 contre un chèque de l'ordre de 800 M€. Le premier versement de ce nouveau contrat est censé intervenir dès juillet.
(2)Selon le rapport de la DNCG, les masses salariales représentaient 53,8% de l'ensemble des charges des clubs professionnes pour l'exercice 2018-2019.