Foot Normand

Les jeunes caennais sont-ils vraiment de futures pépites ?

Godson Kyeremeh (actuellement prêté à Annecy, en N1), Johann Lepenant et Brahim Traoré ont tous été intégrés au groupe « pro » avant leur 18e anniversaire.

Dans le dernier rapport de la DTN (Direction technique nationale), cet été, sur le classement des centres de formation pour la saison 2020-2021, le Stade Malherbe apparaît au sixième rang avec une moyenne de 3,5 étoiles sur un maximum de cinq. A égalité avec Le Havre, Lens et Saint-Etienne, la structure caennaise n’est devancée que par le PSG, Lyon, Monaco, Rennes et Toulouse. Pour rappel, ce classement est établi à partir d’une grille d'évaluation comprenant cinq critères : 

> le nombre de premiers contrats professionnels signés,

> le temps de jeu en équipe première,

> le nombre de sélections en équipes nationales,

> le niveau de diplôme obtenu par les joueurs formés au club,

> la représentation dans les formations européennes.

En étudiant de plus près ce classement, on se rend compte que le SMC est bien placé grâce à des facteurs internes comme le nombre élevé de premiers contrats « pros » (5 étoiles sur ce critère avec 27 contrats), le temps de jeu en équipe première (avec là aussi la note maximale obtenue avec 18 joueurs formés utilisés en Ligue 2 dont sept parmi les 11 temps de jeu les plus importants) et la scolarité (4 étoiles). Pour les deux autres critères, la représentation européenne et la présence en sélections nationales, les évaluations sont beaucoup plus faibles avec respectivement 1,5 et 3 étoiles. Autrement dit, l’excellent classement du centre de formation des « Rouge et Bleu » résulte principalement de ses choix (par défaut ?) alors que l’utilisation des jeunes pousses issues du cru dans des équipes de Top niveau européen reste à prouver.

Selon l’étude du CIES, le SMC devancé par 14 clubs français

Un constat corroboré par l’étude publiée le 1er octobre par le CIES (Centre International d’Etude du Sport), mettant à l’honneur les meilleurs clubs formateurs en Europe*. Selon cet institut, le Real Madrid et le FC Barcelone se trouvent en tête ex-aequo avec chacun 42 joueurs formés chez eux évoluant dans l’un des championnats du Big-5 (Allemagne, Angleterre, Espagne, Italie, France). Dans ce classement du CIES qui témoigne de la compétitivité des joueurs, le Stade Malherbe pointe derrière 14 autres clubs français (!) ; une lecture donc complètement contradictoire avec celle émanant de la DTN.

La formation et les transferts potentiels qu'elle engendre : un levier de réinvestissement

Si l’on se fie au CIES, le centre de formation caennais ne fait pas partie des meilleurs français contrairement à ce que laisse entendre la FFF. Pourtant, alors que les finances du SMC sont exsangues, la formation de talents est clairement identifiée comme le carburant du business model de ses nouveaux actionnaires. "Le cœur du réacteur, c’est la formation", nous confiait Vincent Catherine, le directeur général des activités d’Oaktree en France (le fond d’investissement qui possède plus de 80% du capital du club normand), au début de l'année 2021.

Dans le diagnostic réalisé en amont du rachat du Stade Malherbe, les propriétaires américains avaient identifié la formation et les transferts potentiels qu’elle engendrerait comme un levier de réinvestissement dans le club. Un raisonnement loin d’être incohérent comme en atteste la vente d’Alexis Beka Beka au Lokomotiv Moscou pour 7 M€ (bonus compris) au mois d’août. Problème, les « Rouge et Bleu » ne sont pas les seuls à adopter cette stratégie économique. Depuis plusieurs années, la valorisation des jeunes talents made in France constitue le principal actif des clubs. Aux yeux des actionnaires étrangers, les centres de formation sont perçus comme des sources de profits, censés apporter rendement et retour sur investissement. Il faut d’ailleurs rappeler que la France est le premier pays exportateur de joueurs. Y apportant sa contribution, le SMC souhaiterait amplifier son rôle dans ce processus.

Parmi les 11 joueurs les plus utilisés la saison dernière, six nés en 1998 et après

Paradoxalement, alors que les décideurs normands misent sur la formation, ce choix, apprécié des supporters, pourrait desservir leur club. Pour valoriser un jeune, il faut l’exposer. Mais la saison dernière, le Stade Malherbe a certainement poussé trop loin cette logique. Parmi les 11 éléments les plus utilisés, six d’entre eux sont nés en 1998 et après : Jessy Deminguet, Hugo Vandermersch, Nicholas Gioacchini, Yoël Armougom, Kélian Nsona et Alexis Beka Beka. Difficile d’être compétitif avec autant de joueurs encore en post-formation et éloignés de leur prime (le pic de leur carrière). On peut estimer que cette intégration massive a été contre-productive. D’ailleurs, les « Rouge et Bleu » ont frôlé la correctionnelle avec un maintien acquis à la dernière journée.

Dans le monde impitoyable du foot pro, l'erreur est proscrite car synonyme de défaite

Toutefois, dans ce cas précis, pas certain que ce recours massif à des jeunes ait répondu à une véritable stratégie économique. Si Pascal Dupraz et Fabrice Vandeputte, qui se sont relayés sur le banc caennais durant l’exercice précédent, ont fait autant appel à la relève « Rouge et Bleu », c’est aussi, et surtout, parce que leurs cadres, ou supposés comme tel, de l’effectif n’ont pas répondu aux attentes placées en eux. D’ailleurs, on peut se demander ce qu’il serait advenu du club normand sans les Johann Lepenant, Brahim Traoré et autre Sullivan Péan ?

D’une manière plus globale, cette réflexion pose la question de l’âge idéal pour lancer un jeune dans le grand bain. Dès notre plus tendre enfance, nos parents et nos enseignants nous encouragent à nous tromper car l’erreur fait partie intégrante du processus d’apprentissage. Or, dans le monde impitoyable du foot professionnel, en exposant les meilleurs espoirs à la rude épreuve d’une compétition « élite » où l’erreur est proscrite car, la plupart du temps, synonyme de défaite, on empêche ces jeunes de faire grandir leurs compétences, au risque de « cramer » leur potentiel.

L’exemple du base-ball américain difficilement reproductible en Europe

A63V0281_0.jpg

Vincent Catherine, le directeur général des activités d’Oaktree, le fonds d'investissement américain propriétaire du Stade Malherbe, en France. ©Damien Deslandes

Dans le sport de haut niveau, le rapport au temps est une notion clef. Il serait plus sage que les décideurs du monde du ballon rond rallongent leur perception de rendement lorsqu’il s’agit de valoriser des « actifs ». Pour reprendre l’exemple d’Oaktree, le fonds d’investissement pourrait s’inspirer du base-ball où les lanceurs et les batteurs ne disputent leurs premières rencontres en ligue majeure qu’à 23 ans en moyenne contre 18 pour le football. Dans ce sport, les franchises nord-américaines ont adopté un système de « fermes » de développement. Après avoir signé leur engagement, sur le long terme, les jeunes joueurs s’aguerrissent dans des équipes affiliées au sein de ligues mineures pendant parfois plusieurs saisons où les matches ne constituent pas le seul critère d’évaluation.

Sauf qu’il n’est pas certain que ce modèle, basé sur des ligues fermées (sans accessions ni relégations), des contrats longue durée (entre cinq et sept ans en général), des drafts et des échanges (pas de transferts) soit compatible avec la vision européenne du football. On peut juste espérer que les patrons du Stade Malherbe n’exposeront pas trop tôt les prometteurs Zeidane Inoussa, Norman Bassette, Tidiam Gomis… Et que s’ils le font, cela répondra uniquement à une logique sportive et non financière.

Quitter la version mobile