Le Stade Malherbe en finale de la Coupe Gambardella, qu’est-ce que cela vous inspire ?
"Tout d’abord, c’est une fierté collective. C’est quelque chose de rare pour notre club. En Gambardella, ce n’est pas arrivé depuis 21 ans ! Quand on démarre la saison, ce n’est pas un objectif. Il faut profiter de ces moments. C’est aussi l’histoire de la vie d’un groupe qui a commencé début décembre (pour le 1er tour face au Paris FC). On ne pensait pas que ces joueurs atteindraient un tel niveau. Dès ce premier match, j’ai senti un groupe capable de se transcender pour cet événement. Pour certains, peut-être qu’ils ne pourront pas aller beaucoup plus haut mais ils sont déjà allés très haut. Certains ont fait preuve de beaucoup de courage. Quand on repense à la qualification contre Rennes (en demi), elle paraissait plutôt complexe à aller chercher avant le match".
Quand Abdoulaye Niakaté a transformé le cinquième et dernier tir au but en demi-finale, beaucoup d’émotions sont remontées à la surface, y compris pour vous. On vous a même vu écraser quelques larmes…
"Avec le contexte d’Ornano, je savais que ce match serait difficile à aborder pour moi. J’en avais discuté avec plusieurs personnes, Romain (Leroux, son adjoint), ma famille… Il ne fallait absolument pas transmettre cette émotion négative aux joueurs. Les émotions, c’est pour après, pas avant ni pendant le match car ça peut faire déjouer. Alors, bien sûr, une fois la qualification acquise, des émotions sont remontées. Ce stade a été mon jardin pendant 16 ans. Et puis, il y a ce bien-être qu’on a pu apporter aux supporters, à nos familles, à l’ensemble du club… Tout le monde était très ému. Il ne faut pas oublier que le club sort de deux ans et demi très compliqués. Durant cette période, on a souvent parlé du Stade Malherbe de manière très négative. Alors, pouvoir apporter de la joie à ce club, c’est extraordinaire. Et ça récompense le travail de toute une saison mais pas que… La plupart des garçons sont arrivés en école de foot, en préfo… Certains éducateurs sont en place depuis dix ans, 20 ans".
Même si vous n’avez pas affronté que les noms les plus prestigieux du football français, votre parcours fut loin d’être simple avec, à l’exception de la demi-finale contre Rennes, que des déplacements dans des stades où il est loin d’être facile de s’imposer (Paris FC, Argenteuil, Lyon-La Duchère)…
"Se rendre en région parisienne n’est jamais facile car c’est tout simplement le deuxième fournisseur de joueurs au monde. Du coup, y compris dans les structures amateures, il y a des garçons de qualité, avec des capacités athlétiques, de vitesse, de puissance… Maintenant, on y est confronté assez régulièrement en championnat, que ce soit avec les U17, les U19 ou la réserve. Après, il ne faut pas nier que notre tirage au sort nous a donné la particularité d’affronter des équipes de notre niveau ou d’un niveau inférieur ; ce qui nous a permis de gravir les échelons et d’acquérir de la confiance. Si on avait eu le même parcours que Lyon, qui a eu des gros centres de formation sur sa route (Saint-Etienne, Monaco, Strasbourg), on ne serait peut-être plus en lice. C’est le charme de la coupe. On le voit tous les ans avec les amateurs en Coupe de France. Dans un tirage, il y a une part de chance".
A l'exception de la demi-finale contre Rennes, les U18 de Nicolas Seube ont effectué la totalité de leurs parcours en Gambardella à l'extérieur. ©Damien Deslandes
Et il y a eu cette demi-finale, devant plus de 11 000 spectateurs à d’Ornano…
"Au départ, on doutait de cette décision de jouer à d’Ornano. Est-ce que c’était une bonne idée ? On ne savait pas comment les garçons réagiraient. Aujourd’hui, forcément, on répond oui. Paradoxalement, sur les retours qu’on a eus, les joueurs nous ont confié être moins stressés sur cette demi que face à Lyon-La Duchère (en quart). Pourtant, selon moi, le contexte était plus compliqué à appréhender à d’Ornano, devant 11 000 personnes. Mais ça ne les a pas inhibés. Après, on savait que si on parvenait à emmener ce public derrière nous, ça nous apporterait un atout supplémentaire face à un effectif supérieur au nôtre. Et avec l’entame réalisée par les garçons (2-0 au bout de 25’), c’est ce qu’il s’est produit".
De l’extérieur, on a l’impression que pas grand-chose ne peut perturber votre groupe ?
"Les garçons ont surtout confiance les uns envers les autres. A l’instant T, ils sont capables de se transcender, de rivaliser, de faire douter l’adversaire… La preuve que parfois la cohésion d’équipe peut renverser des montagnes. Après, à l’intérieur de ce collectif, le talent individuel de chacun peut s’exprimer. Bien sûr que sans talent, la cohésion ne suffit pas mais il faut avoir l’envie de s’inscrire dans un collectif. C’est ce qu’il se passe dans cette compétition. En demi, les Rennais étaient, en qualité individuelle, largement plus forts que nous mais sur l’état d’esprit et la volonté de faire les choses ensemble, peut-être qu’ils ont été inférieurs à nous sur ce match. Pendant la séance de tirs au but, j’ai ressenti une forme de sérénité, j’ai senti qu’on allait le faire".
Lors du huitième de finale, face à Brest (3-0), une phrase de votre causerie a particulièrement marqué les supporters caennais : « C’est eux ou c’est nous »…
"C’est quelque chose que je ressens sur le moment. Pour les derniers mots que je prononce dans le vestiaire, avant de rentrer sur la pelouse, je fonctionne beaucoup à l’instinct. Ce n’est pas quelque chose de préparé. Par exemple, je ne l’ai pas redit contre Rennes. A travers quelques mots, j’essaye d’impacter les garçons de telle sorte que quand ils pénètrent sur le terrain, ils aient ces mots qui résonnent en eux. C’est un exercice difficile, il faut être rapide, bref et ne pas être redondant".
En demi-finale, les jeunes Caennais ont été portés par l'énergie des 11 000 spectateurs qui avaient garni les travées de d'Ornano. ©Damien Deslandes
Désormais, place à la finale face à Lyon. Vous le mentionniez après votre qualification, l’histoire ne retient que les vainqueurs…
"Se qualifier pour la finale n’est pas une fin en soi. Le bilan, on le tirera après Lyon. Je ne veux pas qu’on aborde ce match en se disant : « C’est bien, on a atteint la finale ». Il y a un match à enjeu à jouer, à nous de défendre nos couleurs, de tout mettre en œuvre pour remporter cette compétition. Je parle en connaissance de cause. Je ne veux pas qu’on arrive, comme nous en 2005, pour la finale de la Coupe de la Ligue (défaite 2-1 contre Strasbourg) avec cet état d’esprit : « On est content, c’est super, on est en finale devant 30 000 supporters… » On ne peut pas se contenter de ça".
Vous venez d’y faire référence. 17 ans après cette finale de Coupe de la Ligue, déjà sous les couleurs « Rouge et Bleu » à l’époque, vous êtes de retour au Stade de France…
"A titre personnel, c’est vrai que le Stade de France représente quelque chose de fort car j’ai eu la chance de le connaître. D’ailleurs, je m’étais juré que j’y retournerais. Bon, je ne savais pas comment. J’aurais bien aimé en tant que joueur mais l’opportunité ne s’est pas présentée. Mais y retourner aujourd’hui, avec l’ensemble du club, ça génère beaucoup d’émotions. Par exemple, en 2005, mes enfants n’étaient pas nés. Ma femme, Marine, était enceinte de mon aînée, Angèle (Marine et Nicolas Seube sont également les parents d’Eliot et de Rose)".
Que reste-t-il de cette finale, malheureusement pour vous, perdue, de 2005 ?
"Ça reste le plus grand souvenir de sportif que j’ai pu connaître. Au bout, il y avait un titre, une qualification en Coupe d’Europe, quelque chose de merveilleux… Je me souviens en entrant sur la pelouse, sur notre gauche, de voir du bleu et rouge partout. C’était énormissime. Le problème, c’est qu’en championnat, on n’était pas du tout dans les clous, on était relégables. On ne le savait pas à ce moment-là mais notre entraîneur (Patrick Rémy) allait être démis de ses fonctions après la finale. Dans ce contexte, on n’a pas pu se préparer correctement. Il faut se souvenir qu’à l’époque, tout est allé très vite pour notre groupe. 11 mois avant, on montait en Ligue 1 en s’imposant à Rouen. La majeure partie de notre effectif n’avait jamais connu ce niveau. Tout nous est arrivé d’un coup. On était déjà content d’être là. C’est pourquoi je vous expliquais tout à l’heure que je ne voulais pas qu’on éprouve cela pour la Gambardella. Je ne veux pas juste qu’on soit content d’être au Stade de France. Je veux utiliser cette expérience de 2005 pour permettre à nos jeunes joueurs d’être dans les meilleures conditions. Il faut éviter de se mettre des bâtons dans les roues. Par exemple, en demi, le fait de s’entraîner la veille du match à d’Ornano, je suis persuadé que ça a compté. D’ailleurs, je remercie encore le club de nous l’avoir permis. En 2005, on ne s’était pas entraîné au Stade de France avant la finale. On était basé à Clairefontaine. C’était un peu loin. Là, même si on ne pourra pas s’entraîner sur la pelouse de d’Ornano, on dispose d’un créneau d’une demi-heure la veille pour visiter le stade. Ça va permettre aux joueurs de s’imprégner des lieux, des vestiaires, de l’espace…"
Capitaine et gardien de l'équipe de Gambardella du Stade Malherbe, Maël Obé fait partie des joueurs dont l'avenir est encore incertain. ©Damien Deslandes
A contrario de l’effervescence vécue à d’Ornano pour la demi, cette finale, qui se dispute en lever de rideau de celle de la Coupe de France (Nice - Nantes), va se tenir dans une ambiance intimiste avec extrêmement peu de spectateurs au coup d’envoi…
"J’en ai discuté avec Stéphane Moulin, Patrice Sauvaget et Serge Le Dizet (qui ont été en finale de la Coupe de France en 2017 avec Angers). Tu commences ton match, il n’y a personne et tu le finis devant 30 000 spectateurs. C’est un contexte particulier. Et puis, tu ne peux pas compter sur tes supporters (la majeure partie des places étant réservées aux supporters de Nice et Nantes). Il y aura extrêmement peu de Caennais dans les tribunes. Jouer dans un stade vide, c’est très bizarre. Ça va nous changer de la magie de d’Ornano. Et le Stade de France est très grand (80 000 places), avec une capacité quatre fois supérieure à celle de d’Ornano. Il va falloir se convaincre que c’est une finale et pas un match amical".
Est-ce que cette aventure en Gambardella peut faire basculer l’avenir footballistique de certains jeunes ?
"Ça peut contribuer à transformer un non en oui. Certains joueurs, pour qui on pensait que l’aventure s’arrêterait chez nous, vont peut-être continuer. Après, d’une manière générale, les joueurs qu’on avait ciblé au début ont répondu présent. On ne s’est pas trop trompé. Maintenant, il faut faire attention, ça reste une compétition de jeunes. Il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives à partir de ces matches. Ce n’est pas parce que des jeunes ont été performants en Gambardella qu’il faut se précipiter. Ça ne signifie pas que ce ne sont pas des bons joueurs de foot mais aujourd’hui, je vois des limites chez certains pour basculer dans le monde professionnel. C’est la vérité du moment. Mais nous, on est obligé de se projeter en se demandant si tel ou tel garçon peut exister chez les pros. C’est la dure réalité de notre milieu. C’est pareil dans tous les clubs. Je serais curieux de savoir quels finalistes font une très bonne carrière parmi la génération Mbappé* ?"
Le jour de la finale, la grande majorité des jeunes seront fixés sur leur avenir. Ils sauront s’ils poursuivent ou non l’aventure avec le Stade Malherbe. Est-ce que ça peut les perturber ?
"Le joueur, oui car son entourage peut lui dire qu’il mérite ça, qu’il mérite tant… Mais moi, je ne dérogerai pas sur l’exigence qu’il faut pour passer pro. Je ne serai pas perturbé par ce qu’on me dit à côté. Les seules personnes à qui je fais confiance, ce sont mes éducateurs, avec qui je travaille au quotidien, et le staff pro. Vous savez, même si on remporte la Gambardella, il n’y aura pas un contrat pour tout le monde".
*Outre Kylian Mbappé qu’on ne présente plus, Ivan Cardona est le seul joueur, vainqueur de la Gambardella avec Monaco en 2016, à évoluer actuellement en Ligue 1, avec Brest (L1). Aucun autre membre de cette génération n’évolue en première division, que ce soit en France ou à l’étranger.
Son diplôme de formateur validé
Le BEFF en poche, il ne manque plus que BEPF (Brevet d'entraîneur professionnel de football) ; le diplôme permettant d'exercer en Ligue 1 et Ligue 2, à Nicolas Seube. ©Damien Deslandes
Directeur du centre de formation du Stade Malherbe depuis cette saison, Nicolas Seube bénéficiait d’une dérogation pour occuper ce poste ; l’éducateur caennais ne disposant pas du diplôme requis. Une phrase qu’il convient d’écrire au passé désormais. En formation depuis deux ans, notamment à Clairefontaine, Nicolas Seube a validé son BEFF (Brevet d’entraîneur formateur de football). "C’est l’aboutissement de 18 mois de travail. A titre personnel, c’est une fierté. C’est mon troisième diplôme en cinq ans. Cela valide mon projet d’après-carrière", se félicite l’ex-capitaine du club caennais.
A partir de maintenant, le technicien va pouvoir se consacrer à 100% au projet de formation du SMC. "Ces 18 mois de formation m’ont permis de réfléchir. Avec mes collègues de promotion, on a partagé nos expériences, on a visité différents centres de formation", souligne Nicolas Seube qui regrette juste de ne pas avoir pu effectuer un stage à l’étranger, à cause du contexte sanitaire. Prochaine étape : coucher sur papier "un projet de formation qui corresponde à l’identité du Stade Malherbe, ainsi qu’à nos moyens humains et financiers du moment". Avant d’ajouter : "L’idée, c’est de savoir comment développer un joueur et comment l’amener au plus haut niveau en franchissant les différentes étapes : la préfo, l’entrée en formation, la réserve tout en y incluant le projet scolaire".