Mediapro fait planer une forte menace sur les droits TV
Quand le montant du contrat avec Mediapro a été dévoilé il y a deux ans et demi (en mai 2018), les dirigeants du football français se frottaient les mains. Contre un chèque de 814 M€ par saison, sur la période 2020-2024, le groupe sino-espagnol raflait huit des dix rencontres de Ligue 1 (dont les meilleures affiches : PSG-OM, PSG-Lyon, Lyon-Saint-Etienne…) et de Ligue 2 par journée. Depuis le 5 octobre et une traite de 172 M€ qui n'a pas été honorée par le diffuseur, c'est la douche froide. Argumentant que le contexte économique a changé depuis leur engagement à cause de la crise sanitaire, Mediapro a sollicité une baisse de sa facture pour cet exercice 2020-2021.
Alors qu'elle vise à moyen terme 3,5 millions d'abonnés (à 25,90 € chacun tout de même) pour équilibrer son investissement, Téléfoot, la chaîne spécialement lancée par le groupe dirigé par Jaume Roures pour retransmettre les deux championnats, n'en revendiquait que 600 000 mi-octobre (dans un article daté du 26 novembre, L'Equipe annonçait, elle, le chiffre de 480 000). On est loin du compte. Début décembre, Mediapro n'a pas non plus réglé son échéance, pour une somme quasi-identique à la précédente.
Un problème de taille pour des clubs français TV dépendants ; les deux tiers de leurs ressources quand ce n'est pas plus, hors mutations de joueurs, provenant de ces droits domestiques (à de très rares exceptions comme le PSG). Depuis, une procédure de conciliation a été engagée par le groupe sino-espagnol via le tribunal de commerce de Nanterre. Si les premières conclusions sont espérées courant décembre, on ne voit pas comment elles pourraient aboutir favorablement. Pour pallier ce manque à gagner, la LFP (Ligue de football professionnel) et son président Vincent Labrune ont souscrit un prêt, un de plus*, d'un montant de 120 M€ auquel sont venus s'ajouter 50 M€ issus de ses fonds propres.
"Il faut bien avoir à l'esprit que potentiellement, ce ne sont pas que 20 millions que nous ne toucherons pas mais toute la part de Mediapro"
Dans le contrat des nouveaux droits TV (1,224 milliard d'euros par saison pour la période 2020-2024*), la Ligue 2 fréquentée par nos deux représentants normands, le Stade Malherbe et le HAC, avait obtenu un déplafonnement de ses droits pour les porter à la hauteur de 135 M€ dont cinq alloués au National 1, soit une augmentation de 20 M€ par rapport au contrat précédent (110 M€). Une somme supplémentaire qui doit être répartie entre les 20 pensionnaires de cette deuxième division selon différents critères : notoriété, performances, participation à des Coupes d'Europes, passage(s) récent(s) en Ligue 1… Forcément, Mediapro ne versant pas ce qu'il doit, cette augmentation pourrait être remise en question mais pas seulement comme l'indique Pierre Wantiez, le directeur général des « Ciel et Marine ».
*En plus des 814 M€ promis par Mediapro, Canal + a acquis deux matches de Ligue 1 pour 330 M€, beIN Sports les deux meilleures affiches de L2 pour 30 M€, Free les droits mobiles pour environ 50 M€.
Tout le financement du sport français en question
A l'occasion d'une réunion devant différents acteurs du sport le 17 novembre pour présenter un dispositif d'aides, Emmanuel Macron a annoncé que l'Etat n'interviendrait pas dans ce dossier. "On avait alerté la Ligue. On savait que ce contrat était fragile. Je pense que les personnes qui l'ont négocié n'ont pas été très sérieuses", a estimé le président de la République. Que ce soit Didier Quillot, le directeur général de la LFP à l'époque de la signature de ce fameux contrat, ou les dirigeants des clubs, tout le monde nie avoir été prévenu par l'Elysée. De toute façon, peu importe le (ou les) responsable(s), aujourd'hui, l'heure est à la recherche d'une solution.
"La Ligue travaille au mieux des intérêts du football français. Je lui fais totalement confiance ainsi qu'aux équipes en place", assure Pierre Wantiez, le directeur général du Havre. Certains présidents aspirent à ce qu'elle intervienne par l'entremise de Canal +, le diffuseur historique, initialement ressorti bredouille du dernier appel d'offres avant de racheter deux matches de L1 par journée à beIN Sports. En attendant, la menace est grande. "Il faudrait être fou pour ne pas être inquiet", acquiesce le dirigeant des « Ciel et Marine ». "On est tous obligés de se dire : « Si cette situation dure, comment on fait ? »".
Pour le DG du HAC, ce n'est pas seulement le secteur professionnel qui est en danger mais le sport en France dans sa globalité. "Le foot pro irrigue l'ensemble du sport dans notre pays. A ma connaissance, vous n'avez jamais entendu un club de Ligue 1 ou de Ligue 2 s'y opposer car on considère que ça fait partie de notre responsabilité. Si notre contrat n'est pas respecté, tout le monde risque d'être impacté : le monde amateur, les disciplines olympiques… Il faut savoir que quand le foot pro encaisse 1,4 milliard d'euros (en englobant les droits internationaux), 70 M€ via la taxe Buffet (du nom de l'ancienne Ministre des Sports, Marie-Georges Buffet, entre 1997 et 2002) sont reversés aux autres disciplines et 36 M€ à la FFF", rappelle Pierre Wantiez. "Economiquement, personne n'a intérêt à ce que le foot s'effondre". Non, vraiment personne.
*Dans la foulée de l'arrêt définitif des championnats de Ligue 1 et Ligue 2 la saison dernière (il restait encore dix journées à disputer), déjà en raison de la crise sanitaire, Canal + avait rompu son contrat avec la LFP. Pour compenser cette perte estimée à environ 250 M€, la Ligue avait contracté un PGE (Prêt Garanti par l'Etat) d'un montant de 224,5 M€. A noter que toutes les entreprises qui le souhaitent pourront demander à leur banque de différer d'un an le début du remboursement de son leur PGE, soit au 31 mars 2022.