À cette époque, le Stade de Reims était encore une pointure européenne. La pelouse du Stade Michel-d'Ornano n'était qu'un vaste terrain vague et une figure locale comme Jean-François Fortin venait à peine d'obtenir son certificat d'étude. L'année 1959, marquante à plus d'un titre, résonnera pourtant forcément dimanche à d'Ornano lorsque les U18 du SM Caen commenceront leur demi-finale de Coupe Gambardella contre le Stade Rennais. En quête d'une finale nationale, l'équipe de Nicolas Seube cherchera à marcher sur les pas de la génération 59, une pionnière pour le club normand. "En 1959, le Stade Malherbe était le premier club amateur à aller en finale de la Coupe Gambardella", rappelle l'ancien défenseur droit Raymond Decaen, 82 printemps aujourd'hui et toujours aussi enchanté d'évoquer cette aventure 63 ans après. "Dans mes souvenirs, on ne peut pas dire qu’on ait eu de la chance, on avait surtout une bonne équipe de copains. On a éliminé trois des quatre demi-finalistes de l’édition précédente, dont Saint-Etienne".
Lors de cette édition, la cinquième de l'histoire, les Malherbistes avaient surpris leur monde en s'invitant en finale contre le Racing Club de Paris dont l'équipe professionnelle était alors une référence nationale. Devant à la pause, les Caennais avaient fini par perdre 2-1. "Il y a prescription et maintenant ça m’est complètement égal mais si on avait eu la VAR à l’époque, on aurait non seulement été la première équipe amateur finaliste de la Gambardella mais aussi la première à la remporter", assure Raymond Decaen. "Sur les deux buts qu'on concède, il y en a un hors-jeu de deux ou trois mètres et sur l’autre il y a une main du joueur devant l’arbitre. Je crois qu’un club amateur qui aurait battu le Racing Club de Paris, ça aurait fait tâche".
Paradoxalement, bien que cette épopée ait conduit René Cédelin et ses partenaires à 90 minutes d'un sacre dont on parlerait sûrement encore aujourd'hui, ce qui reste avant tout prégnant dans la mémoire collective, c'est la demi-finale incroyable remportée contre Saint-Etienne, un autre cador de ces années. "De tous nos matches, c'est celui où on a eu le plus de chance", admet Raymond Decaen qui en jubile encore. "Ce qu'il faut savoir, c'est qu'à cette époque-là, l’attaque junior de leur équipe de Gambardella, c’était celle de leur équipe amateur. Notre entraîneur Louis Requier nous disait donc de ne pas les lâcher, il avait d'ailleurs une expression pour nous dire de ne pas lâcher un joueur : « S’il va pisser, vous allez pisser avec lui ! »". Ce jour-là, menés 3-1 à dix minutes du terme, les « Rouge et Bleu » s'en étaient remis à un tir exceptionnel de Jean-Marie Mortier pour recoller dans un premier temps. "Et à la dernière minute, Noël Jaussaud met le troisième sur un retourné acrobatique !" En l'absence de prolongation, c'est l'équipe avec la moyenne d'âge la plus basse qui se qualifiait. Et à ce petit jeu, c'est bien évidemment le SMC qui affichait le visage le plus juvénile.
La Gambardella était déjà un tremplin vers le monde « pro »
Dimanche, Raymond Decaen et certains de ses coéquipiers de 1959, membres de l'association des anciens du Stade Malherbe, prendront place en tribune sur invitation du club. Ils encourageront alors une jeune génération qui dans son fonctionnement n'a plus grand-chose à voir avec le groupe qu'ils formaient à l'époque. "Le système de jeu a complètement changé depuis notre finale", reconnaît l'octogénaire. "On jouait dans ce qu’on appelait le WM". S'ils s'entraînaient trois fois par semaine à midi, les mardi, mercredi et jeudi, les pionniers caennais en finale de la Gambardella n'aspiraient pas forcément à devenir professionnels. Amoureux du jeu mais d'ores et déjà lancé dans la vie active, Raymond Decaen était de ceux-là. "Après la finale, on a été approchés par des clubs professionnels comme le Stade Français ou le Red Star mais moi, ça ne m’intéressait pas", assure-t-il. "En revanche, certains de mes partenaires sont partis : Noel Jaussaud tout comme Jean-Marie Mortier. Alain Leroulley est aussi devenu pro. Et surtout, il y a eu René Cédolin qui a filé à Rennes et qui est devenu international français après".
Ce qui était déjà réel toutefois à cette époque, c'était la ferveur qui accompagnait les équipes du club. "On était déjà beaucoup suivi", confirme Raymond Decaen. "Les gens nous connaissaient tous et si on voulait sortir les veilles de match, notre entraîneur finissait toujours par être au courant. Les supporters n'hésitaient pas à lui dire : « Tiens, ton petit joueur, il était au bal hier soir ! »" S'il s'amuse de ce genre d'anecdotes aujourd'hui, l'ancien représentant en matériaux de construction l'assure : il était très consciencieux. "Ça m’est arrivé de sortir mais je me couchais de bonne heure quand même, j’étais quelqu’un de sérieux", sourit-il.
Dimanche, Raymond Decaen et ses amis espéreront ardemment voir Norman Bassette et sa bande s'inviter en finale, autant qu'ils leur souhaiteront de la gagner si d'aventure ils décrochent le Stade de France. "Si je devais dire quelque chose aux jeunes, ça serait : « Faites mieux que nous et allez gagner la finale de façon à nous éliminer du statut de la meilleure équipe junior. Il faut changer 59 ! »" S'il y a d'ailleurs un regret qui anime l'ex-Malherbiste, c'est assurément celui de ne voir aucune rencontre s'organiser entre les anciens et les plus jeunes. "Je ne connais pas du tout les juniors et je le déplore. Bien sûr, on ne leur apporterait pas grand-chose en termes de football mais je pense qu’on pourrait partager notre état d’esprit avec eux, celui qu’on avait et qu’ils n’ont pas. A l’époque, on pensait peut-être plus à défendre son club. Moi, je jouais pour le plaisir et surtout pour le Stade Malherbe. Représenter la ville était important". Nul doute que Maël Obé et ses partenaires ont à cœur de porter haut les couleurs « Rouge et Bleu ».
Une génération de finalistes unie pour la vie
Pour les finalistes de la Coupe Gambardella 1959, le temps a bien sûr fait son œuvre et envoyé les joueurs vivre chacun leur aventure, dans le foot ou ailleurs, passée la finale parisienne. Qu'à cela ne tienne, Roland Dechauffour, Christian Dandrea et les autres ont pour la plupart su garder des contacts, aidés en cela par l'association des anciens. "Au fil des années, on est restés en contact, on a même célébré les 60 ans de la finale en 2019 même si on ne s'est pas vus physiquement", abonde Raymond Decaen le bien nommé. "Sur les 11 joueurs de la finale, dix étaient vivants, le onzième on ne savait pas trop. La dernière fois qu’on s’est vu, quand René Cédolin était venu d'ailleurs, c’était il y a plus longtemps. On lui avait remis un maillot avec le n°5. On reste en contact via l’Amicale des anciens du Stade Malherbe qui se réunit une demi-douzaine de fois par an".
> L'équipe caennaise finaliste en 1959 : Gérard Le Goff, Raymond Decaen, Roland Dechauffour, René Cédolin, Christian Loison, Charlemagne Richard, Jean De Beauvais, Alain Leroulley, Noël Jaussaud, Jean-Claude Langrognet, Jean-Marie Mortier, Christian Dandrea (capitaine, blessé pour la finale), Ferey. Entraîneur : Louis Requier.
Aurélien Renault