30 ans après, que vous évoque cette double confrontation contre Saragosse (victoire 3-2 à Venoix, défaite 2-0 au retour) ?
> Xavier Gravelaine (XG) : "Déjà, c’est un travail de mémoire (rires). Stéphane, ça va, il est jeune mais nous avec Yvan, ça commence à taper".
> Stéphane Dedebant (SD) : "Ah non, je suis pareil que Xavier, j’essaye de me rappeler du match. Il y a quelques souvenirs qui remontent".
> Yvan Lebourgeois (YL) : "Ça ne nous rajeunit pas. L’avantage, c’est que la vidéo du match repasse souvent sur le net, on revoit les buts de Xavier".
> SD : "C’était du délire".
> XG : "Moi, ce sont des bribes qui me reviennent. Je me souviens qu’on était au vert dans un hôtel, place Foch, à côté du champ de courses. C’était une des premières fois qu’on allait là-bas. Bon, il faut dire qu’il devait être cher. Mais je me souviens surtout de l’ambiance. C’était de la folie. Le bruit des tôles donnait l’impression qu’il y avait deux-trois fois plus de monde qu’il y en avait réellement. D’ailleurs, quand tu revois le stade aujourd’hui, tu te demandes comment on mettait autant de supporters ? Aujourd’hui, avec les normes de sécurité..."
> YL : "Je me rappelle qu’un dimanche où on avait joué contre l’OM. Les gens grimpaient sur les panneaux tellement ils étaient nombreux".
Que vous reste-t-il de ces deux rencontres européennes ?
> SD : "Quelques regrets, surtout par rapport aux buts qu’on concède. Au match aller, on doit faire une grosse différence. Et on ne l’a fait pas".
> XG : "On a vu la différence entre des joueurs débutants en Coupe d’Europe et des habitués. Pourtant, on était totalement vidés. On avait tout donné, on avait couru comme jamais. On avait tous fait un match exceptionnel. On a eu plein d’occas’. J’ai eu celle du 4-1 avec un lob qui passe au-dessus. D’où le sentiment un peu de gâchis".
> YL : "On s’est fait avoir deux fois. Sur l’ensemble des deux matches, on méritait de passer".
> XG : "Il ne faut pas oublier qu’à l’époque Saragosse, ça représente quelque chose. C’était une grosse équipe. C’est l’équivalent aujourd’hui de Séville, Valence ou Villareal... Tu avais des joueurs comme (Andreas) Brehme, champion du Monde (en 1990, avec l’Allemagne), (Miguel) Pardeza (international espagnol)…"
Quand vous vous remémorez cette époque, quelle est la première chose qui vous revient ?
> XG : "Notre groupe. On avait un groupe exceptionnel. On ne se prenait pas au sérieux, on était insouciant tout en étant professionnel, et puis, on a eu la chance d’avoir un entraîneur (Daniel Jeandupeux) qui nous faisait jouer. Derrière, dans ma carrière, j’ai rarement retrouvé une telle notion de groupe, hormis à Istres sur la fin. Comme on disait là-bas, c’était le club avant l’ANPE (Pôle emploi)".
> YL : "C’est ce qui faisait la différence. Quand les mecs s’entendent bien, c’est tout de suite plus facile".
> SD : "Sans oublier qu’il y avait de la qualité. On jouait au ballon".
Auteur d'un but à l'aller et impliqué sur les deux autres réalisations caennaises, Xavier Gravelaine (53 ans) s'était révélé à la France du Foot ce mardi 15 septembre 1992. ©Damien Deslandes
L’un de vos coéquipiers était bien connu pour assurer l’ambiance. On parle, bien sûr, de Stéphane Paille…
> SD : "Déjà, la première chose, c’est que quand il a signé (en 1991), on a vu débarquer un top joueur. Quand il est arrivé, il s’est mis au diapason de l’équipe, il n’hésitait pas à aller au combat. Il ne se comportait pas comme une star*. Avec lui, j’ai formé le meilleur duo d’attaquants de ma carrière. Sur le terrain, à chaque fois que Stéphane se mettait dans une position, je savais neuf fois sur dix où allait le ballon. C’est la magie du foot. Il nous a fait aussi un bien fou avec ces conneries. Et il en a fait (sourire)".
> YL : "Une fois, il est arrivé à l’entraînement en retard habillé tout en blanc jusqu’à ses chaussures qu’il avait repeint alors qu’on était tous en bleu. Il allait loin parfois."
> XG : "On a essayé de le couvrir 2-3 fois même si ça n’était pas toujours défendable. Daniel a souvent voulu le sanctionner mais le groupe a toujours pris sa défense. Daniel s’arrachait les cheveux. C’était une autre époque, il n’y avait pas les réseaux sociaux, on pouvait cacher des choses".
> SD : "En tant que coach, ça ne devait pas être évident à gérer mais c’était un super coéquipier".
> YL : "C’était aussi une façon de ressouder le groupe. Je me souviens qu’une fois, on avait pris deux fois 5-0 à l’extérieur de suite. Autour de Stéphane (dont Yvan Lebourgeois était très proche), on s’était retrouvé et s’était reparti".
*Entre 1986 et 1989, Stéphane Paille compte huit sélections en équipe de France. En 1988, il avait été sacré champion d’Europe Espoirs avec les Bleuets. La même année, il est élu joueur français par France Football.
Dans quelles conditions aviez-vous abordé le match aller ?
> YL : "Comme d’habitude, pied au plancher et bille en tête. Avec Daniel, il fallait jouer. C’est vrai qu’on encaissait beaucoup de buts mais on en marquait encore plus".
> XG : "C’était sa force. A chaque qu’il prononçait un discours, qu’il s’exprimait devant le groupe, il nous transmettait sa volonté d’être offensif, aussi bien pour les arrières que pour attaquants".
Vous faites référence à Daniel Jeandupeux, votre entraîneur. Que représentait-il pour cette équipe ?
> YL : "Je lui dois beaucoup. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il avait l’œil (attaquant à la base, Yvan Lebourgeois avait été reconverti, avec succès, latéral gauche). Quand on monte de niveau, ça devient de plus en plus compliqué de jouer devant. Je connaissais mes limites. Je commençais à atteindre les miennes. Ce repositionnement m’offrait plus de chance de jouer. C’est ça la question importante : est-ce que tu as envie de jouer ? Oui ou non ?"
> SD : "Je me souviens que lors d’un match à Metz, le coach m’avait aligné arrière droit (Stéphane Dedebant était milieu offensif, de préférence dans l’axe). Bon, pourquoi pas même si ce fut un peu compliqué (sourire)".
> XG : "Quand j’ai recroisé Daniel pour le centenaire du club (en 2013), je lui ai dit que c’était certainement le meilleur entraîneur que j’avais eu dans ma carrière. Il avait été surpris. C’est sous sa direction que j’ai le plus progressé. Je n’ai jamais retrouvé cette sensation de liberté tout en étant dans un cadre précis. Il était aussi capable de coups tactiques à la Rolland Courbis".
Désormais agent immobilier sur le secteur d'Ouistreham, Stéphane Dedebant (51 ans) a coupé les ponts avec le monde du football. ©Damien Deslandes
Quand on se replonge dans les archives, Saragosse, avant le match aller, avait été pointé du doigt par le camp normand pour sa suffisance…
> XG : "Guy Chambily (le président) était furax. « Ils nous ont pris pour des jambons », avait-il lancé en arrivant à la collation. A Saragosse, ils pensaient que Venoix était notre terrain d’entraînement.
> YL : "Peut-être que dans leur tête, ils se sont dit que ça serait facile, qu’ils allaient nous piétiner. J’imagine qu’ils ne connaissaient pas du tout notre club. C’est l’erreur qu’ils ont commise. Bon, au retour, ils avaient retenu la leçon".
> XG : "Ce n’étaient pas les mêmes joueurs. A l’aller, ils avaient été surpris d’être pris à la gorge".
Même si certains d’entre vous étaient encore très jeunes à l’époque, sur ce match aller, on a l’impression que vous avez vécu l’un des sommets, si ce n’est le sommet, de vos carrières respectives…
> YL : "Personnellement, oui, incontestablement. Je suis de Caen. Avec Malherbe, j’ai tout connu (dont l’accession en D1 en 1988). Quand je suis arrivé, le club montait en D2. Xavier, lui, a vécu une autre carrière".
> XG : "Des joueurs comme Yvan, Pointu (Christophe Point) ou plus récemment, Nicolas Seube, qui font toute leur carrière dans un seul club, tu n’en trouves plus. Pour moi, ce match contre Saragosse fut le point de départ (deux semaines après la rencontre retour, Xavier Gravelaine sera appelé pour la première fois en équipe de France. En tout, il compte quatre sélections)".
> SD : "Pour moi aussi, ça reste ancré. D’ailleurs, je n’ai plus jamais fait de match de Coupe d’Europe. Et puis les gens t’en parlent : « C’était la bonne époque, la meilleure époque de Malherbe ». Ils rattachent mon nom à cette période-là".
> YL : "Ils me parlent aussi du match de Coupe de France contre Lens (gagné 5-4 la saison précédente)".
> XG : "C’est ce qui m’a surpris quand je suis revenu comme dirigeant en 2014, je voyais des papas avec leurs enfants âgés entre six et dix ans qui leur en parlaient. Bien sûr, les jeunes ne me connaissaient pas. Je me suis fait plusieurs fois accosté. Pour eux, c’est la référence du Stade Malherbe".
Difficile d’évoquer cette double confrontation sans parler de l’arbitrage de M. Howard King au match retour à la Romareda…
> XG : "C’est bien simple, on s’est fait voler".
> SD : "Faouzi (signalé hors-jeu) était parti de notre camp".
> YL : "En plus, c’était un rapide le Faouzi".
> SD : "C’était une mobylette. Bon, pour autant, on n’était pas sûr qu’il allait marquer".
> YL : "Comme j’étais capitaine, j’ai fait le toss et j’ai senti que l’arbitre puait l’alcool".
> XG : "Il était rouge aussi. Quand Yvan est revenu du toss, il nous a dit : « Il est bourré l’arbitre ». Quand j’ai vu qu’il sifflait tout contre nous, on s’est énervé. On avait cru entendre qu’on s’était bien occupé d’eux (les arbitres). Il a été viré après(2)".
> YL : "Thierry Roland l’avait bien déglingué à l’antenne(3)".
(2)Plusieurs années plus tard, Howard King a avoué dans le tabloïd News of the World qu'il avait régulièrement accepté de la part de clubs, tout au long de sa carrière derrière le sifflet, de l'alcool et des prostitués. Il sera suspendu dix ans de toutes activités liées au football.
(3)« Ah, j'ai rarement vu un trio de nullos pareil. Il faudrait les empailler ceux-là », avait déclaré Thierry Roland, qui commentait le match retour sur TF1 en compagnie de Jean-Michel Larqué, à propos du corps arbitral.
Reconverti comme conducteur de bus et de trams à la ville de Caen, Yvan Lebourgeois (59 ans) fera jouir ses droits à la retraite au début du mois de novembre. ©Damien Deslandes
Déjà à l’aller, à Venoix, avec M. Kurt Röthlisberger au sifflet…
> YL : "Il y avait une faute non sifflée sur le deuxième but de Saragosse où un adversaire arrache pratiquement la tête de Tanier (Philippe Montanier)".
> XG : "Il y aurait eu la VAR (l’assistance vidéo à l’arbitrage) à l’époque, on se serait qualifié et on aurait peut-être remporté la Coupe d’Europe (rires)".
> YL : "Ça s’est joué à ça (en montrant un faible espace entre son index et son pouce)".
Pensez-vous qu’un jour le Stade Malherbe disputera de nouveau une Coupe d’Europe ?
> YL : "Quand tu vois les clubs actuels qui se battent pour se qualifier, avec d’autres moyens que les nôtres comme Lyon cette saison, et pour certains, qui n’y arrivent pas".
> SD : "Après, il y a différentes coupes avec la Ligue Europa même s’il faut terminer haut (dans les cinq-six premiers du classement)".
> XG : "A moins de gagner une coupe (après la suppression de la Coupe de la Ligue en 2020, il ne reste plus que la Coupe de France). Mais le football est en train de changer avec la réduction de la Ligue 1 et de la Ligue 2 à 18, les six descentes en National, deux saisons de suite, un groupe de moins en N2… Je souhaite déjà au Stade Malherbe de remonter en Ligue 1. Par contre, ce qu’on a vécu nous, à notre époque, je pense que plus jamais le club ne le revivra".
1er Tour aller de la Coupe UEFA. 15 septembre 1992
SM Caen - Real Saragosse 3-2
Stade de Venoix. 5 134 spectateurs.
Mi-temps : 3-1.
Arbitrage de M. Kurt Röthlisberger (Suisse).
Buts : Paille (7', 37'), Gravelaine (17') pour Caen ; Sanjuan (30'), Pardeza (79') pour Saragosse.
Avertissements : Paille (16’) à Caen ; Solana (41’), Sergi (56’), Garcia (89’) à Saragosse.
> SM Caen : Philippe Montanier (g) - Philippe Avenet, Hubert Fournier, Christophe Point, Yvan Lebourgois (cap, Joël Germain, 28') - Hippolyte Dangbeto (Faouzi Rouissi, 76'), Benoît Cauet, Willy Görter, Gaby Calderon - Stéphane Paille, Xavier Gravelaine. Entraîneur : Daniel Jeandupeux.
> Real Saragosse : Andoni Cedrùn (g) - Jesùs Solana (Sergi Lopez, 54'), Narcís Julia, Xavier Aguado, Andreas Brehme - José Aurelio Gay, Daniel Rebollo Franco, Jesús García Sanjuan - Dorin Mateut, Miguel Pardeza (cap), Peña (Moisés García, 76'). Entraîneur : Víctor Fernández.
A voir les poignées de main franches, les sourires échangés et les anecdotes qui ont fusé (pas toutes racontables), Stéphane Dedebant, Yvan Lebourgeois et Xavier Gravelaine - qui s’étaient perdus de vue - ont éprouvé du plaisir à se retrouver et à évoquer une rencontre qui a largement dépassé les frontières de la Normandie. ©Damien Deslandes