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Fred Reculeau : "Si j’avais été davantage accompagné, mieux aidé, on aurait pu être plus forts"

Avant de passer la main à Damien Ott auquel il avait succédé en 2018, Fred Reculeau va diriger une dernière fois l'US Avranches, ce vendredi. ©Damien Deslandes

Fred, comment préparez-vous ce dernier rendez-vous contre l'US Créteil-Lusitanos (lanterne rouge et déjà condamnée) dans un contexte dépourvu de réels enjeux sportifs ?

"Je ne vais pas cacher que l’état d’esprit est complètement relâché. D’une certaine manière, les garçons sont déjà en vacances. Ils peuvent bien faire les choses comme au Mans ou ne pas les faire comme lors des deux derniers matches à domicile. Ce qui est sûr, c’est qu’on a tous envie de bien finir. Il y a l’envie de bien faire mais y aura-t-il la détermination pour y parvenir ? Nous verrons bien. Nous nous sommes préparés de façon plus simpliste qu’à l’habitude mais on sera présent".

"je n’ai pas eu l’impression d’avoir fait mon métier pendant quatre ans à cause de Covid"

Le contexte ne vous a pourtant pas été défavorable la semaine dernière au Mans (J33. succès 2-1) ?

"Au Mans, on s’était un peu mieux préparé, on restait sur deux résultats très moyens à Fenouillère donc on voulait quand même faire bonne figure dans un beau stade de foot après deux déconvenues. Le fait d’avoir réussi un résultat comme celui de la semaine passée emmène les garçons sur un dernier match différent. Il y aura la volonté de bien finir à domicile dans un multiplex, mais on peut dire qu' « on est en roue libre » sans que ça n'apparaisse surprenant. On fera du mieux possible".

Et vous personnellement, comment abordez vous cette dernière journée ? Comment avez-vous vécu cette ultime semaine comme entraîneur de l'US Avranches ?

"Ce n’est jamais simple parce que je n’ai pas eu l’impression d’avoir fait mon métier pendant quatre ans à cause du Covid. Je n’ai pas l’impression d’avoir pu aller au bout de ce que je voulais faire. On a mis des choses en place, le club avance, il se structure et forcément plus on se structure, plus on peut devenir fort. Moi, j’avais l’impression que cette année pouvait devenir une année charnière par rapport à l’après-Covid et à une projection à court ou moyen terme. C’était un ressenti personnel mais pas le même que le club. J’ai donc le sentiment de partir en n’ayant pas fait le maximum, dans des conditions particulières, que tout le monde connaît. Je me suis dit qu'on allait retrouver une logique de vie qui favorise mieux le travail quotidien, tant pis. C’est la fin. Là, ça fait trois semaines que je sais que je ne suis pas renouvelé. J’essaie d’être le plus droit et honnête possible dans ce que je peux donner au club. On s’est maintenu, le travail a été fait. L’approche et le quotidien ne sont plus les mêmes quand on sait qu’on ne va pas rester. Il n’y a plus de projection, pas de travail à mettre en place pour préparer la saison d’après, c’est différent. C’est l’expérience et la vie d’un entraîneur".

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Avant la réception de Créteil, Fred Reculeau a dirigé à 125 reprises l'US Avranches en championnat de National pour un bilan de 47 victoires, 26 nuls pour 52 défaites. ©Damien Deslandes

A quoi aspirez-vous dans l'immédiat ?

"Quand on est à ce niveau, on a envie d’y rester. J’ai passé les diplômes pour. Maintenant, je suis conscient du CV qui est le mien, de mon parcours de vie. Je n’ai pas été joueur professionnel et c’est un vrai atout chez les entraîneurs qui ont ce cursus. Je suis conscient que je ne suis pas forcément un premier choix, j’ai mes années en National qui parlent pour moi mais est-ce que ce sera suffisant pour retrouver un poste dans les prochaines semaines ? Je ne sais pas. Pour l’instant, il y a quelques touches mais ce n’est pas des touches à ce niveau. Pour le reste, je suis comme tout le monde, j’ai besoin de travailler, de nourrir ma famille, j’ai besoin de me projeter sur un avenir. Je serai à l’écoute de tout projet et avec beaucoup d’humilité, je serai en capacité d’accepter, peu importe le challenge, même si ce n’est pas en National malgré la volonté d’y rester. On est tous pareil. Il faut être en capacité de répondre à une demande et à accepter la situation dans laquelle on est".

"Je n’ai pas de match référence, ni de joueur référence. Je me suis rendu compte que dans ce métier-là, il ne fallait pas s’attacher car plus on s’attache, plus la déception peut être importante"

Votre priorité consiste donc à continuer d'entraîner, quitte à devoir redescendre d'une division ?

"C’est simple. Il y a la Ligue 1, la Ligue 2, le National juste en dessous où ce n’est pas du professionnalisme mais où ça s’en rapproche. Lorsque l’on part en N2, je pense que l’on part dans un autre métier donc c’est vrai que j’aimerais rester, à minima, en National. Si ce n’est pas le cas, je suis sensible à quelques approches. Il y aura une réflexion personnelle et familiale à avoir, il faut se poser. Ce n’est pas simple quand on est à la recherche d’un métier. Les deux fois où j’ai signé pour deux ans à Avranches, les jours qui suivaient voire le lendemain, j’avais deux clubs de très bon niveau qui me sollicitaient. Quand on a quelque chose entre les mains, il faut savoir ne pas faire la fine bouche. Je suis dans une période de réflexion, ce n’est jamais simple. On a l’impression de ne pas contrôler ce qu’on fait, de ne pas prendre la bonne décision même si on a envie d’aller où on nous attend".

Que ressortez-vous de vos quatre saisons à l’US Avranches ? Un match, un joueur, un moment...

"Au-delà du Covid, je retiens l’ensemble des années que j’ai passé là. Quand tu es entraîneur et que tu te sens bien dans une région, quand tu es bien installé, tu exploites ton métier le mieux possible. Je retiendrai mon passage ici parce que sportivement ça n’a pas été fantastique, je suis en capacité de le dire, mais j’ai rencontré des belles personnes, j’ai vécu des choses sympas avec certaines. Je n’ai pas de match référence, ni de joueur référence. Je me suis rendu compte que dans ce métier-là, il ne fallait pas s’attacher car plus on s’attache, plus la déception peut être importante. Je garderai de bons souvenirs, de belles relations mais il n’y a rien sportivement qui soit marquant".

En quatre saisons avec Fred Reculeau à sa tête, l'US Avranches a respectivement terminé huitième (2019), sixième (en 2020, dans un championnat arrêté prématurément par la crise sanitaire) et 13e (en 2021). Cette saison, le club manchois devrait de nouveau se classer des les même eaux. ©Damien Deslandes

Il y a tout de même cette fameuse saison où la pandémie est venue interrompre un parcours très intéressant (quatrième ex aequo après 25 journées avec un match en moins quand le championnat s'est arrêté)...

"Oui, il y a de la déception sur cette saison (2019-2020). Je pense qu’on pouvait titiller le haut du classement. Mais c’est une déception positive. On était dans une bonne situation avec les garçons que j’avais, je pense notamment à Victor Lobry ou à Bradley Danger (aujourd'hui en L2, à Pau et Rodez), il y avait une vraie alchimie entre l’équipe et le staff. On était tout près de réussir quelque chose de sympa. Lors de cette deuxième saison, je pense sincèrement qu’on pouvait marquer l’histoire de ce club comme jamais auparavant mais on ne le saura jamais. Mon recrutement cette saison-là était plus ciblé, je me retrouvais plus dans cette équipe car j’avais des joueurs qui rentraient à 300% dans mon projet. Il y avait aussi ceux que j’avais déjà rencontré au club, les Antho Beuve, les Bobo (Charles Boateng) dont c’était la deuxième année avec moi. On partait sur quelque chose de plus fort avec la volonté d’être plus performant. Humainement, c’était une année assez sympathique avec les garçons, sans dénigrer les trois autres. C’est une année où j’ai vraiment pris du plaisir".

"avec le club, on va se serrer la main très tranquillement, très sereinement. je respecte la hiérarchie et tous les gens du club. En quatre ans, je n’ai eu aucun gros souci avec qui que ce soit"

Est-ce que vous avez la sensation que ce sont les résultats de cette saison qui ont poussé le club à engager un autre entraîneur ou que c’était avant tout une vraie nécessité d’enclencher un nouveau cycle ?

"Je pense que c’est un tout. Cette saison a été très négative sur le plan sportif, il y a très peu de choses positives à retirer. Que ce soit humainement ou sportivement. Cela entache un peu le relationnel, il y a plein de choses qui se sont passées qui ont apporté des déconvenues au sein de notre vie de groupe. Que ce soit en lien avec le club ou avec le groupe. Cela n’a pas empêché qu’on fasse de notre mieux mais cela a rendu notre mission plus difficile. Cela n’a clairement pas joué en ma faveur, j’en suis conscient. J’ai ma part de responsabilité, même si je ne suis pas responsable de tout. J’ai vécu des moments qui vont me servir pour la suite. Je me dis aussi que si j’avais été davantage accompagné, mieux aidé, on aurait pu être plus fort dans certaines situations mais bon... Il faut aussi que les gens soient en capacité d’entendre certaines choses".

Dans quel état d’esprit quittez-vous l’US Avranches ?

"Je pars avec zéro raison de me fâcher, je ne suis pas tordu. Je garderai le numéro de certains dirigeants avec qui j’ai passé beaucoup de bon temps et avec le club, on va se serrer la main très tranquillement, très sereinement, avec beaucoup de respect. Là-dessus, je n’ai pas de souci, je respecte la hiérarchie et tous les gens du club. En quatre ans, je n’ai eu aucun gros souci avec qui que ce soit. Je ne vois pas pourquoi je partirais en ayant la volonté de rendre les choses tristes alors qu’elles ne le sont pas".

Lors de la saison 2019/2020, des joueurs comme Bradley Danger (en arrière plan) et Victor Lobry (ici au duel avec le capitaine Charles Boateng) avaient conduit l'US Avranches de Fred Reculeau au pied du podium. ©Aurélien Renault

Vous garderez la sensation qu'il y avait matière à mieux faire ?

"On a toujours l’impression qu’on peut faire mieux. C’était mon troisième club, je ne suis pas du genre à changer tous les ans. Il y a deux ans, je souhaitais continuer le projet ici ou partir vers un club plus huppé, j’ai privilégié le projet ici, j’ai continué. Le Covid, encore une fois, a mis quelques faiblesses au fonctionnement. Je voulais vraiment poursuivre, je ne m’en cache pas, il faut l’accepter. Je suis dans la phase où il faut que je reparte".

Depuis votre arrivée, considérez-vous que l’US Avranches a réellement progressé et pensez-vous y avoir bien contribué ?

"Ce n’est pas un hasard si lorsque Xavier Gravelaine était là, on a fait ce qu’on a fait. Je pense d'ailleurs qu’il manquait quelqu’un à côté de moi cette saison à certains moments"

"Je ne m’attribue rien. Quand on est dans un club, il y a l’entraîneur mais il y a toute une équipe dirigeante, toute une institution qui est en place. Si Avranches est encore en National la saison prochaine et qu’il y sera le plus vieux club, c’est que depuis le début de son histoire, il fait tout pour. C’est un club qui avance et c’est pour ça que je pars avec un petit goût amer. C’est un club qui se structure notamment avec les infrastructures terrain. Cela va encore se développer avec la venue d’un garçon comme Xavier Gravelaine qui connaît bien le monde pro. Il va forcément apporter certaines choses qu’il avait déjà apportées lors de ma deuxième saison : une rigueur, une force externe qui mettait du lien entre toutes les composantes du club. Ce n’est pas un hasard si lorsqu’il était là, on a fait ce qu’on a fait. Je pense d'ailleurs qu’il manquait quelqu’un à côté de moi cette saison à certains moments. Dans un club comme Avranches, il manque certaines commissions, certains secteurs ne sont pas complètement développés et ça peut créer des faiblesses. Malgré ses faiblesses, le club a de grandes forces qui lui permettent de pérenniser son nom dans cette division-là. Garder ces forces-là et en améliorer certaines autres, cela fait qu’on a un club qui peut encore grandir. Maintenant, il faut être en capacité de le comprendre, d’accepter certains manques et de les améliorer. Ce club a sa place, il le prouve que chaque saison. C’est une victoire collective, ce n’est pas l’histoire d’un homme, ce n’est pas l’histoire d’un secteur, c’est une victoire collective. Même si ça a été compliqué d’aller chercher le maintien cette saison, des joueurs, au staff en passant par toutes les composantes du club, on a su aller le chercher cinq journées avant la fin".

Y a-t-il une différence fondamentale entre le Fred Reculeau qui est arrivé en 2018 et celui qui repart en 2022 ?

"On apprend tous les jours. En quatre ans, ce n’est pas forcément à Avranches que j’ai fait évoluer des choses mais dans ma vie d’homme, je suis devenu grand-père. J’ai connu des staffs différents avec mes qualités, mes défauts, j’ai fait de bonnes choses, de moins bonnes. J’en suis conscient. J’ai des qualités, et des défauts, mais je ne dénigrerai jamais mes valeurs d’hommes. Nous avons tous un passé, un vécu, nous sommes tous en capacité de vivre les choses comme on le ressent. Moi, je suis très famille, j’aime ma famille et c’est aussi pour ça que j’étais bien dans cette région, une région un peu plus tranquille où on peut s’épanouir. Le Fred Reculeau d’il y a quatre ans n’est plus le même qu’aujourd’hui. En tant qu’entraîneur, je ne pense pas être devenu meilleur ou moins bon. Le club d’Avranches et le championnat de National m’ont offert quatre années. Même si le championnat a évolué, moi je n’ai pas spécialement changé. Bien sûr, j’ai appris des choses, dans le management aussi. Les joueurs et la société dans son ensemble changent, ça appelle une approche différente. Il faut encore que j’apprenne, là aussi je peux avoir des manques par rapport à ma conception de la vie. Je peux avoir des décalages avec la jeunesse actuelle. J’ai deux garçons, un de 22 ans et un de 30 ans donc je suis bien placé pour le comprendre. Après, en tant qu’entraineur, ce n’est pas simple de gérer 25 personnes avec une société qui bouge et qui n’évolue pas forcément dans le bon sens. Mais je reste à fond un amoureux du foot, en phase avec ma vision du foot et mon projet de jeu".

> N1. J34 - US Avranches (13e - 39 points) / Créteil-Lusitanos (18e - 26 points), vendredi 13 mai à 20 H 45 au Stade René-Fenouillère.

Aurélien RENAULT

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